Je m'abonne
Festivals

FNC 2015, jour 1

par André Roy

Le FNC : il est devenu depuis 44 ans un rituel et une fête au mois d’octobre de chaque année. Une manifestation placée cette année sous le signe du deuil par la mort tragique de Chantal Akerman, qui était une habituée de ce festival. Que de beaux moments elle nous a fait vivre là, une dizaine de fois. Elle pourrait être ce symbole d’un cinéma que nous souhaitons : beau, original, radical, qui nous aide à penser et à vivre. Ce cinéma que le FNC nous invite à découvrir chaque fois, encore plus il me semble cette année, tant la programmation est passionnante, suscitant le désir de cette aventure formelle qu’est pour nous le 7e art. Plusieurs œuvres nous paraissent incontournables et je me ferai un devoir d’aller les voir, car, j’en suis sûr, elles vont encore concrétiser ma passion de cinéphile. En voici quelques-unes.

Les Asiatiques
Mes pas vont me diriger immanquablement vers le cinéma asiatique, l’un des plus stimulants et des plus innovateurs actuellement (en fait, depuis près de vingt ans). Je vais donc aller à la seule projection du Thaïlandais Apichtpong Weerasethakul, Cemetery of Splendour — le titre lui-même est tout un programme. « Splendide » est le mot du titre qui revenait également sous la plume de nombreux critiques à Cannes, où le réalisateur avait reçu cinq ans plus tôt la palme d’or pour Oncle Boonmee. C’est une magnifique histoire d’amour que ce film-là, où se mêlent magie et politique. Un conte hypnotique sur des soldats mystérieusement atteints d’une maladie qui les plonge dans un profond sommeil, sur une femme handicapée et sur un jeune médium. On devine par cette brève situation que Weerasethakul va nous amener dans un pays lointain, profond et surnaturel, comme à son habitude. Et toujours, comme on l’imagine, avec cette précision dans le regard et cette douceur dans la mise en scène à donner la chair de poule. C’est là que se situe la poésie magique du cinéaste, mais par son climat d’étouffement et de torpeur, le film apparaît aussi comme une réponse politique au pouvoir militaire thaïlandais, qui ici provoque des cauchemars aux soldats, et où le roi est nu devenu ce qu’il est vraiment : un fantôme. Le cinéaste rebrasse ses thèmes favoris afin d’éveiller tous nos sens, de les transporter dans un autre monde où la pensée et l’émotion priment. On s’attend donc à un chef-d’œuvre.

L’autre film asiatique que je ne voudrais pas manquer est Afternoon du Taïwanais d’adoptation, Tsaï Ming-liang. Quoique les rumeurs en 2013 annonçaient la fin de la réalisation pour le cinéaste avec Les chiens errants, Tsaï n’a pourtant pas arrêté de filmer. Mais il l’a fait différemment. Est-ce à cause de sa pratique de la performance (installations visuelles) qui l’a dirigé vers des films qui sont de purs exercices de lenteur comme Journey to the West entièrement filmé en France? Comme s’il voulait perfectionner son art, le peaufiner, l’amener ailleurs et le déclasser en même temps? On retrouvera certainement dans Afternoon ces longs plans qui sont la signature du cinéaste, qui filme une conversation entre lui et son acteur fétiche, amant et inspirateur, Lee Kang-sheng. En quatre plans statiques dans un immeuble en ruines qui ouvre sur une nature verdoyante, les deux hommes discutent, parlent de leurs vies, désirs et rêves. Il y a quelque chose comme de l’impudeur qui aurait pu se glisser dans la conversation, sur cette « beauté impermanente », comme le dit Tsaï, de leurs relations, mais le cinéaste se fait fort de nous désillusionner sur une possible scandale dans le dévoilement de leur intimité. Il n’en rien, d’autant qu’il n’abandonne pas son goût du plan ciselé comme un diamant. Moins bilan que confession, moins confession qu’acte de gratitude pour ce que le cinéma a rendu à lui Tsaï et à Lee, et à nous (évidemment), tel est cet Afternoon étrange et palpitant.

J’essaierai de revoir deux grands films d’Asie également : le film d’arts martiaux de Hou Hsiao-hsien, The Assassin, un pur chef-d’œuvre, et Right Now, Wrong Then du Coréen Hang Song-soo qui a remporté le léopard d’or au dernier festival de Locarno, intelligent et jouissif.

Les Français
Les Garrel, père et fils. Un duo qui a tout de l’exceptionnel. Le père, Philippe, n’est pas à présenter comme cinéaste tant son œuvre est immense; et le fils, Louis, est l’acteur fétiche de Christophe Honoré et de son paternel.
L’amour et le couple sont au centre des films de Philippe Garrel, qu’il a toujours traités de manière fine et poétique. Il raconte dans L’ombre des femmes l’histoire, qui semble banale au premier abord, de Pierre et Manon, qui vivent pauvrement mais heureux. Mais survient Élisabeth, une stagiaire, qui devient la maîtresse de Pierre. De son côté, grâce à Élisabeth, on apprend que Manon a un amant. On a aura deviné que le cinéaste nous donne de nouveau une version sur la mécanique des désirs et l’attirance des chairs. C’est un film sur la passion, sur la dérive des sentiments, avec des personnages emblématiques d’aujourd’hui, mais qui n’est en rien un portrait sociologique. C’est le cœur, rien que le cœur qui intéresse Philippe Garrel. Un film d’amour donc, dont les critiques à Cannes ont salué la beauté formelle, son épure dessinée par un noir et blanc d’une grande élégance. Et dans lequel les trois acteurs, Clotilde Coureau, Stanilas Merhar et Lena Paugam sont formidables.

On ne pouvait pas s’attendre, comme pour le père, de Louis Garrel un chef-d’œuvre avec son premier film, Les deux amis. Mais là aussi, c’est une histoire de couple et de triangle qui laissera des traces dans la mémoire du spectateur : comédie vive et tendre, au ton à la fois tragique (une gravité sentimentale) et drôle (un humour potache), qui est une adaptation très libre des Caprices de Marianne d’Alfred Musset. C’est un film plus sur la séduction que le désir, avec Louis Garrel lui-même, Vincent Macaigne et Golshifteh Farahani, tous les trois très bien.

On essaiera de ne pas rater Trois souvenirs de ma jeunesse d’Arnaud Desplechin, un curieux et attachant film, dit-on, qui se veut un préquel de Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) qui date de 1996. Un anthropologue d’une quarantaine d’années, Paul Dédalus, revient en France après plusieurs années d’absence; il se remémore des scènes de sa jeunesse à Roubaix : souvenirs, voyages, histoire d’amour. On ne sera pas surpris par le travail du réalisateur, par sa façon de nous faire entrer dans le récit par petites touches délicates. Film sur la mémoire, proustien par bien des façons, où les souvenirs sont douloureux, et œuvre mélancolique sous plusieurs aspects. Ceux et celles qui ont aimé La vie des morts, Rois et reines, Un conte de Noël, apprécieront ce film d’un romantisme pur.

Encore pour les films français, il ne faudrait non plus rater Malgré la nuit de Philippe Grandrieux, en première mondiale, et 21 nuits avec Pattie, en première nord-américaine, des frères Larrieu, Arnaud et Jean-Marie.

Le Portugais
Tabou, le précédent film de Miguel Gomes, qui avait été présenté au FNC il y a deux ans, avait rencontré la ferveur du public. Il faudrait s’attendre au même accueil avec cette trilogie des Mille et une nuits, qu’on connaîtra ici sous son titre anglais, Arabian Nights. Ce pourrait être un film en trois parties, aux entrées multiples, chacune ayant sa structure et son style propres, et dont l’ensemble se révèle complexe. Gomes l’a répété souvent dans les interviews, il voulait sonder les reins et le cœur du Portugal, peut-être pour traquer l’utopie dans la réalité de ce pays durant les années 2013 et 2014 alors soumis à une politique sociale injuste. Misérable réalité que remet en question à sa façon le cinéaste, là où sous la fantaisie la plus débridée se cachent tristesse et inquiétude. Se voulant festif et solaire, le premier volet porte le titre « L’inquiet » et a pour thème le travail. Le deuxième intitulé « Le désolé»  est plus tragique, une réflexion sur la destinée humaine sur fond de solitude et de désespoir. Dans « L’enchanté » du troisième film, la dimension sociale réapparaît avec comme fond de scène des hommes entraînant des oiseaux pour des concours de chants. Ce film-fleuve ambitieux, qui n’est pas une adaptation des contes de Shéhérazade, se veut une traversée du monde, le témoin de son temps, une fresque qui veut réveiller les consciences et qui veut, surtout, que nous aimions encore plus le cinéma.


8 octobre 2015