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Festivals

FNC 2013, jour 10 : de corps et de cœur

par François Jardon-Gomez

Nouveau cinéma ou pas, certains thèmes semblent inévitables : le couple, la vie à deux, l’amour, le sexe. Le FNC n’y échappe pas, la journée d’hier ayant été placée directement sous ces signes. The Husband, de Bruce McDonald, commence dans le gris. Matin gris, voiture grise, heure de pointe et un homme qui remplace laborieusement une roue. Le ton est rapidement donné : la vie de Henri, rédacteur dans une agence de publicité, va mal. Son travail et ses collègues l’emmerdent, ses amis l’ont déserté et, surtout, sa femme Alyssa, professeure au secondaire, est emprisonnée pour avoir eu une relation sexuelle avec un de ses étudiants, âgé de 14 ans. L’intelligence du film de McDonald tient en partie à son scénario, co-scénarisé par Maxwell McCabe-Lokos (qui tient également le rôle principal) qui s’attarde non pas à dévoiler les causes de la crise de nerfs qui menace Henri – claires dès le premier tiers du film –, ni à faire de la coupable ou de la victime le point focal du récit, mais qui s’intéresse plutôt, de manière inhabituelle, à la vie de ceux qui subissent les « dommages collatéraux » d’une telle histoire. Dans l’œil de l’ouragan, Henri, qui doit élever seul son enfant, couvrir les frais légaux de sa femme, subir le jugement de ses proches et tenter, au travers de ses sentiments contradictoires de pardon et colère, de reconstruire une vie familiale après un tel événement. La performance de McCabe-Lokos constitue l’autre grande réussite du film. L’acteur incarne avec une maîtrise impressionnante ce personnage attachant et désespérant, à la fois désireux de se prendre en main et capable, dans un même geste, d’auto-saboter ses tentatives à reprendre contrôle de sa vie.

Plus heureuse est l’histoire de Spring Hurlbut et Arnaud Maggs dans le documentaire de Marcia Connolly et Katherine Knight, Spring & Arnaud. Les deux artistes visuels, elle obsédée par l’inévitabilité de la mort et lui par les petites similitudes et différences qui rapprochent et distinguent les humains, se livrent candidement et sans filtre à la caméra. Disons-le d’emblée : le film fonctionne surtout parce qu’il est impossible de ne pas s’attacher à ces deux êtres qui ouvrent grand la porte sur leur intimité pour se mettre à nu, mais avec une grande pudeur maîtrisée par les réalisatrices, d’ailleurs jamais vues ou entendues durant tout le film. Complices et amoureux, Spring et Arnaud racontent, parfois séparément, souvent ensemble, leurs peurs (surtout celle de la mort d’Arnaud, rendue encore plus imminente par le cancer qui l’afflige au moment du tournage), leur extraordinaire histoire d’amour et leur rapport à l’art, indissociable de la vie qu’ils ont mené ensemble durant 26 ans. Connolly et Knight filment le tout avec retenue et discrétion, mais aussi élégance, notamment lors des scènes où les œuvres des artistes sont filmées sur un fond blanc ou noir, donnant une impression de flotter dans le vide, tandis qu’ils expliquent leur démarche et leur processus créatif. Dédié, en dernière instance, à la mémoire d’Arnaud mort quelques mois après le tournage, Spring & Arnaud est de ces histoires touchantes qui bouleversent et font chaud au cœur.

Le Cinéma du parc était bien rempli hier soir pour la première nord-américaine de Gonzo mode d’emploi, documentaire sur le monde de la pornographie – comme quoi le sexe vend toujours. Le grand mérite de ce film signé John B. Root (réalisateur chevronné de films pour adultes français qui se transforme ici en documentariste) est de faire vivre les coulisses d’un tournage de « film hard » pour à la fois réfléchir sur cette pratique et confronter certains préjugés qui y sont reliés. On se surprendra ainsi d’assister à des moments de tendresse et de complicité, mais aussi de faire face à une certaine mélancolie. Si on sent que Root présente des conditions « idéalisées » et qu’il milite pour un type de pornographie qui peut se faire « en respectant les gens », ce dont il ne s’est pas caché durant la séance de questions, le film ne fait pas complètement l’impasse sur les dangers reliés au milieu et à la difficulté, pour les actrices et acteurs, de mener une vie « normale » en dehors des plateaux de tournage. Se pose évidemment, en bout de ligne, la question de la représentation de la sexualité et de la valeur morale de la pornographie, que le film n’aborde pas de front, mais à quoi le spectateur reste confronté. (Pour ceux qui voudraient réfléchir plus longuement le film, ne manquez pas la très bonne entrevue réalisée dans le cadre de l’émission Pop-en-stock, sur CHOQ.fm.)

Gros coup de cœur, en terminant, pour les deux premiers courts-métrages du français Yann Le Quellec, Je sens le beat qui monte en moi et La quepa sur la vilnil présentés consécutivement hier soir. « Tout est possible, grâce au cinéma », c’est le mot d’ordre qu’un maire don quichottesque lance à un vieux facteur pour le convaincre d’embarquer dans son projet; c’est aussi celui que semble s’être donné Le Quellec, qui invente des univers uniques où musique et couleurs vont de pair. Une femme – tout de rouge habillée – qui ne peut résister à l’envie de danser lorsqu’elle entend de la musique; un homme en complet bleu, maniaque de Northern Soul et Al Wilson; un maire fantasque qui accueille les étrangers à moitié nu; Bernard Hinault en guide spirituel, tous ces personnages traversent l’imaginaire du réalisateur dans des mondes singuliers où le corps se déhanche malgré soi – stratagème qui permet d’ailleurs à Le Quellec d’utiliser un humour slapstick fort efficace. Quêtes d’amour, de reconnaissance ou identitaires se succèdent avec une énergie hors du commun qui communique un plaisir contagieux, procurant une sorte de plaisir pur au nom de l’amour et de la magie du cinéma. Seule ombre au tableau : une salle trop peu remplie pour faire honneur à ces films. Heureusement, ils seront encore présentés dimanche à 15h45 au Quartier Latin.

 


19 octobre 2013