FNC 2013, jour 11: la valse des sens
par Céline Gobert
Les festivités se sont logiquement achevées hier soir sur un film-bilan : La Danza de la realidad d’Alejandro Jodorowsky, vraie/fausse autobiographie en forme de fresque folle dopée au fantasme et au baroque. Achevant son armada d’oeuvres présentées, non pas d’un simple point mais d’un point d’exclamation, le FNC a fini en beauté : film interloquant, surprenant, revendicateur par la liberté dont il se dote, dont il se gonfle, dont il fait à la fois l’apologie et le don aux spectateurs, La Danza de la Realidad est venu combler toutes les attentes mises en Jodorowsky, l’un des gros noms à l’affiche du FNC cette année. A 84 ans, et après plus de deux décennies passées loin du cinéma, le réalisateur d’origine chilienne accouche d’une (d)étonnante et (ré)créative audace cinématographique : regard de cinéaste sur sa propre enfance, réinvention du soi, sublimation du réel. Son patchwork politico-hystérico-mystique vient interroger la vie, la mort, la foi, le temps qui passe- s’impose en poème flamboyant de plus de deux heures. Un carnaval, original, marginal. Un festival, en soi, à lui tout seul. En tout cas, tout, sauf du banal ! Une vingtaine de jours après l’ouverture en Triptyque de Lepage, on peut définitivement affirmer que ce ne fut pas le seul grand nom de la programmation à venir bousculer les sens et animer les pupilles: Sorrentino et sa Grande Beauté, Guiraudie et ses corps d’hommes s’abandonnant à d’autres hommes, les Frères Larrieu et leur polar épicurien, ou encore Philippe Garrel et sa Jalousie toute en noir et blanc – et en mélancolie.
Festival de récompenses, aussi, les honneurs sont tombés, entre autres, cette année sur : Heli d’Amat Escalante (Louve d’Or pour le Meilleur long-métrage dans la compétition internationale), L’Inconnu du Lac de Guiraudie qui repart avec une mention spéciale dans la même catégorie, In Bloom de Nana Ekvtimishvili et Simon Gross (Prix Spécial du jury), et Miss Violence d’Alexandros Avranas (Prix de l’Innovation Daniel Langlois). Les critiques cinéma de l’AQCC ont récompensé Kaveh Bakhtiari pour L’Escale, tandis que le public pour la section Temps 0 a plébiscité le japonais Why don’t you play in hell de Sion Sono. Côté Québec, Monia Chokri reçoit le Grand Prix Focus pour son hilarant court-métrage Quelqu’un d’extraordinaire, Gerontophilia de Bruce LaBruce repart avec le Grand Prix Focus catégorie long-métrage, et Frédérick Pelletier avec le Prix Spécial du Jury pour le touchant Diego Star. La prestation de l’acteur principal du film, Isaka Sawadogo, a été saluée (bien mérité), ainsi que celle, côté féminin, de Samantha Castillo dans le vénézuélien Pelo Malo de Marianna Rondon.
Globalement, le FNC a puisé de belles œuvres dans les palmarès des festivals étrangers à la plus grande renommée : le Tom à la ferme de Xavier Dolan, primé à Venise, tendu comme il faut, n’a pas déçu, le Mouton (-choc) de Gilles Deroo et Marianne Pistone, auréolé de deux Prix à Locarno, a divisé les festivaliers, le Heli d’Amat Escalante, palmé à Cannes, a imprimé sur les rétines sa noirceur et son climat vénéneux. D’autres grands noms ont, quant à eux, déçus : le Devil’s Knot du canadien Atom Egoyan s’est révélé trop fade, artistiquement peu stimulant et pertinent, et le Tip Top de Serge Bozon n’a pas convaincu avec son tempo à contre-temps et un socio-loufoque trop poussif. Du côté des films confidentiels, l’ambiance dans l’air était à l’amour-haine : un grand oui pour le québécois Diego Star de Frédérick Pelletier, un immense non au Miss Violence du grec Alexandros Avranas. Pouce levé pour le All is lost maritime de J.C Chandor, drapeau en berne pour l’irritant et franchouillard La Bataille de Solferino de Justine Triet.
Un mot sur la section Temps 0, qui à ses belles heures tend vers le meilleur de Fantasia : l’absurde a côtoyé le giallo, le giallo a côtoyé le zombie, le zombie a côtoyé le porno. Des croisements malades, déments et démentiels – mash-up de lames de rasoir, d’électro et de râles de plaisir mixé pour l’occasion par Julien Fonfrède. Etrangement, les instants de cinéma les plus marquants du FNC auront d’ailleurs jailli en musique : on a respectivement ouvert, chez Dolan et Avranas, sur une interprétation a capella des Moulins de mon cœur et sur Dance me to the end of Love de Leonard Cohen, on écoute de douces mélodies salvatrices au cœur de l’âpreté ambiante dans Ilo Ilo (Chen) ou Heli, on murmure du Brel en Gare du Nord (Simon), on chantonne du Presley en plein Arkansas (Egoyan). Opéra pour Jodo, tango pour Tom, symphonie des vagues et du vent pour Redford – pour nous, une valse des sens, et, indéniablement, une danse. Une danse de la réalité. Logique, encore une fois.
20 octobre 2013