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Festivals

FNC 2013, jour 3 : l’événement Tom à la ferme

par Gilles Marsolais

À coup sûr, Tom à la ferme de Xavier Dolan est l’un des films les plus attendus de cet évènement convivial qu’est devenu le FNC au fil des ans. Des cinéphiles refoulés devant une salle comble. Dès lors, il devient oiseux de supputer ses chances d’obtenir ou non un prix dans le cadre de la Compétition internationale où il est programmé. Adaptation d’une pièce de Michel Marc Bouchard, qui intervient comme coscénariste, ce quatrième long métrage Xavier Dolan (âgé de 24 ans, faut-il le rappeler), qui interprète aussi le rôle de Tom, se défend plutôt bien tout seul.

Après J’ai tué ma mère, qui a révélé ce jeune prodige autodidacte à Cannes, dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs, en 2009, à travers même ses excès narratifs et ses clins d’œil cinématographiques, subtils ou appuyés, après Les amours imaginaires, venu confirmer (Un certain regard, 2010) son talent indéniable et son amour du cinéma, à travers l’exploration des méandres du désir et d’un duel amoureux qui traduit un rare appétit de vivre, et Laurence Anyways (Un certain regard, 2012), pied de nez aux conventions qui explore le filon de la marginalité et de la quête identitaire, Tom à la ferme respire ce même amour démesuré du cinéma avec son lot de références, au thriller et aux films de série B cette fois, tout en composant avec maestria un climat anxiogène.

À sa façon, Tom à la ferme emprunte un chemin de traverse, le suspense, pour aborder à nouveau la question du sentiment amoureux, thématique récurrente chez Dolan, avec ses déchirements, ses contradictions, ses non-dits. Tom, jeune publicitaire et citadin dans l’âme, se retrouve donc sur une ferme pour les funérailles de son amant Guillaume, fils de la famille. Or, Tom constate que personne ne le connaît vraiment et que la mère ignore la nature de sa relation avec le défunt. Plus avisé, le frère aîné de celui-ci (Francis/Pierre-Yves Cardinal) s’emploie à protéger la sensibilité de la mère (Agathe/Lise Roy) et l’honneur de la famille en établissant avec Tom une relation tortueuse, combinant la séduction et la contrainte, au moyen de laquelle il oblige ce dernier à ne pas révéler son orientation sexuelle, ni surtout la relation qu’il entretenait avec Guillaume. Suscitant chez Tom la fascination et la révolte, cette relation particulière conduit inéluctablement au dévoilement de la vérité avec ses conséquences. La qualité du film, qui a mérité le Prix de la critique internationale (FIPRESCI) à Venise, doit beaucoup aux acteurs, convaincants, impliqués dans un jeu de rôles cruel fondé sur des rapports troubles de dépendance et de domination. La musique de Gabriel Yared, référentielle, vise à amplifier le sentiment d’étrangeté et de claustrophobie, en relayant la tension ainsi créée.

La nature même de ce « thriller psychologique », où la tension sexuelle est palpable, a imposé au cinéaste un style plus réaliste que dans ses films précédents. Avec l’aide d’André Turpin à la photo, Xavier Dolan ne se prive pas pour autant de lancer clins d’œil et références, dont ceux à Alfred Hitchcock avec Psycho et North by Northwest aisément repérables, mais sans faire de l’esbroufe. Aussi, malgré quelques passages qui trahissent l’origine théâtrale du projet et certains coups d’accélérateur du récit qui pourraient décoiffer certains spectateurs, il fournit la preuve d’une maîtrise technique indéniable. À voir sans faute.

Programmé hors compétition dans la section Présentation spéciale, une section riche de plusieurs titres qui méritent le détour, Les rencontres d’après minuit de Yann Gonzalez a constitué un autre temps fort de cette journée chargée et courue, d’autant plus qu’il était projeté dans une autre salle immédiatement après le film de Dolan. Une femme et son amant, ainsi que leur bonne travestie attendent leurs invités pour une soirée de débauche. Mais celle-ci se déroulera surtout sur le mode du désir et de l’onirisme, hantée entre autres par la vie intérieure et les tourments de L’Étalon (étonnant Eric Cantona), ex-poète dont la vie fut chamboulée par la taille démesurée de son sexe… Ce huis-clos qui s’annonce d’abord buñuélien (Le charme discret de la bourgeoisie) évoque plutôt au passage et en finale l’esprit de Jean Cocteau et la manière de Manoel de Oliveira, parmi beaucoup d’autres références cinéphiliques. Style baroque, donc. Jusque dans l’éclatement du récit, non dépourvu d’humour. En fait, jalonné de secrets et de chausse-trappes, le film emprunte divers chemins de traverse sur le mode du fantasme et de la cinéphilie pour rendre compte des rêves, des souvenirs et des récits des personnages. En plus de la traversée symbolique du miroir, il témoigne surtout d’une ambition narrative et formelle remarquable pour un premier long métrage. Sous influences (théâtrale et musicale/M83), favorisant les passages de la représentation à l’intériorité des personnages, il se métamorphose littéralement sous nos yeux, pour peu qu’on lui accorde le temps et l’espace qu’il revendique pour raviver le désir et l’amour chez ses personnages perdus dans un espace-temps indéfini.


12 octobre 2013