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Festivals

FNC 2013, jour 4: plans de cinéma

par Céline Gobert

Les films du FNC avaient un sérieux concurrent en ce samedi : un soleil digne des plus belles journées estivales. Pour autant, les cinéphiles entousiastes n’ont pas déserté les salles : il ne restait que quelques rangées de sièges libres pour celle qui projetait, en plein après-midi, le nouveau film du cinéaste roumain Corneliu Porumboiu (12h08 à l’est de Bucarest et Policier, adjectif), il n’en restait presque aucun pour Arwad de Samer Najari et Dominique Chila, belle alternative à la séance du film polonais Floating Skycrapers, tout bonnement annulée trente minutes avant les réjouissances.

En programmant le film de Porumboiu, le FNC a offert matière à penser, et à s’agiter les neurones. « Qu’est-ce qui fait le film ? », se demande When evening falls on Bucarest or metabolism via une lente décortication des éléments qui composent un plan de cinéma. Titre poétique, énigmatique, pour une mise en abîme réflexive. Au programme : deux films en un (celui du réalisateur fictif, celui de Porumboiu) et un scénario à double couche. A l’avant, ce dernier montre la relation entre un réalisateur et son actrice à travers de longues discussions en plans-séquences et des étreintes suggérées via une porte entrouverte ou un lit défait. A l’arrière, il dissèque le geste de cinéma, la nature du geste, la compréhension du geste, l’actrice, le personnage, le regard sur un personnage, la place de la caméra et la durée d’une scène. Porumboiu bâtit son film (bâtir au sens de construction architecturale) autour d’une méta réflexion in progress sur la manière dont i) on réfléchit l’art avant de le faire, ii) l’art réfléchit l’être. En jaillit un résultat stimulant, technico-philosophique, sur les questions de fabrication de contenu, d’image et d’emballage au cinéma. Et même si le film adopte des lenteurs quasi hypnotiques, il n’ennuie jamais. A la fin de la projection, une dame, voisine de siège, le compare au Cheval de Turin de Bela Tarr. Elle n’a pas complètement tort. Après tout, When evening falls on Bucarest or metabolism est lui aussi, dans un sens, un film-tableau.

En parlant de plan de cinéma, il y en a un aujourd’hui qui avait de quoi remuer les tripes des spectateurs. Dans le dérangeant et formellement très soigné Heli, le réalisateur Amat Escalante s’attarde longuement sur une séquence de torture où l’on voit un jeune homme se faire tabasser à coups de planche en bois, avant de se faire brûler le pénis face caméra. Avec cette réflexion sur la vengeance (où chacun a ses raisons d’avoir recours à la violence et de laisser libre cours au monstre tapi en lui), Escalante – indirectement ou non – amène le spectateur à s’interroger sur ce qui doit être montré à l’écran, sur ce qui est nécessaire d’imposer à l’oeil pour frapper l’esprit. A-t-on besoin de cette scène-choc d’une atrocité épouvantable pour que l’idée de la brutalité des gangs mexicains s’incarne parfaitement à l’écran ? Complaisance ou nécessité ? La question est posée.

Plus reposant, le Arwad de Samer Najari et Dominique Chila maniait lui aussi plutôt bien le plan de cinéma avec ses ellipses, suggestions, et morcellement temporel, en écho à la confusion d’Ali, personnage principal du film dont ils tentent de percer les arcanes. Dans le rôle, Ramzi Choukair impose sa gueule d’acteur tout en fêlures, subtilités, finesses. Les cinéastes possèdent indéniablement un sens du cadre et du détail bien senti : une larme discrète sur un visage viril, une tragédie hors-champs, un déjeuner en plan fixe avec vue sur la Méditerranée et musique lancinante des vagues. Arwad est un film sur l’exil, et sur l’identité d’un homme tiraillé d’un côté par ses deux pays, d’origine (la Syrie) et d’adoption (le Canada), de l’autre par deux femmes (la mère de ses filles, et sa maîtresse). Un film qui complète parfaitement la lecture de l’essai Identités meurtrières d’Amin Maalouf, où l’auteur expose les fractures, dangers (pour soi et autrui) et conséquences désastreuses auxquels conduit le déni de ses diverses appartenances et origines. En les niant, le héros d’Arwad court logiquement à sa perte. La descente aux enfers se fait par petites touches et en trois temps – à la fois âpre, douce, tendre, cruelle. C’était sans conteste la jolie surprise du jour. Entre temps, « evening falls on » Montréal. La boucle est bouclée.


13 octobre 2013