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Festivals

FNC 2013, jour 6: se mettre à nu

par Céline Gobert

La mise à nu. Il n’y a qu’à regarder l’affiche de cette 42ème édition du FNC pour se rendre compte de la présence certaine de ce leitmotiv au sein même de la programmation. A l’instar de ces hommes et femmes de papier, dont les vêtements à moitié déchirés laissent leur corps dénudés aux yeux de tous, les nudités des héros et héroïnes de ce lundi – qu’elles soient physiques ou psychologiques – ont été exposées sans vergogne aux regards, au plaisir voyeuriste du spectateur, au besoin de l’analyse, au bonheur des yeux. L’Inconnu du lac d’Alain Guiraudie en est l’exemple parfait avec ses corps masculins filmés frontalement et sans rougir. Des sexes qui pendent, qui bandent, qui jouissent. Tous au cœur d’un bruissement de feuilles, d’une nature bienveillante, à l’éclat d’un coucher de soleil : comme pour mieux signifier la normalité, le naturel, la pureté de la folie des sens et des pulsions. Avec cette mise à nu du microcosme homosexuel et de son atmosphère sexuellement chargée, Guiraudie se fait le portraitiste d’une réalité aussi douce (quand les corps s’épanouissent dans l’étreinte) que cruelle, (quand les corps n’existent plus que pour et par cette étreinte). En effet , via le personnage du serial killer, qui vient semer le trouble au bord d’un lac paisible, Guiraudie capte aussi un malaise : lorsque le corps cesse d’attiser le désir, on s’en débarrasse. Sa généreuse et très libre réflexion sur le désir d’hommes, pour des hommes, ne s’embarrasse d’aucune retenue. Il n’y a pas d’hypocrisie dans une mise à nu, il n’y a plus que le vrai, dégraissé des tabous, vidé de tout contexte. Ne reste alors qu’une nature absurdement souveraine – qu’elle soit eau, sang, ou sperme.

Chez Claire Simon, à l’inverse, la mise à nu se fait urbaine. Direction Paris, Gare du Nord, carrefour d’une capitale où se croisent les êtres d’un autre microcosme : la société française. Chez Paolo Sorrentino, elle sera romaine. Zoom sur le mal-être des riches, le non-sens de la vie, l’Italie contemporaine. La réalisatrice française fait ce qu’elle a toujours fait : inscrire sa fiction dans un marbre social. Le réalisateur italien fait ce qu’il a toujours fait : parsemer son ironie d’éclairs de mélancolies oniriques, sublimes. Ici, quasi felliniens. Mise à nu d’une France qui va mal dans Gare du Nord, via ce va-et-vient de figures anonymes, agressées, agressives, désespérées, noyées dans le marasme social. Il y a bien de l’amour, des rencontres (entre ce thésard – Reda Kateb – et cette dame malade – Nicole Garcia), des frôlements qui empêchent de finir fou, écrasé par la solitude mais rien n’y fait : Paris gangrène l’humain, Paris prend tout. Rome, aussi. Mise à nu de la capitale italienne dans La Grande Bellezza, très beau film dont la projection fut ponctuée de rires, saluée par des applaudissements. Sur son balcon avec vue sur le Colisée, et des fêtes folles à la Gatsby, le milliardaire et ex-écrivain Jep Gambardella (Tony Servillo) a tout le loisir d’observer la vacuité humaine, sans être capable d’écrire à nouveau, trop à l’étroit dans son bocal. Déçu de Rome, déçu des hommes.

Les trois films-phares de ce lundi posent une même question : que reste-t-il une fois le ballet des corps achevé ? Que reste-t-il une fois que l’étourdissement des sens a quitté les lieux ? Une traînée de pensées vides, des mots insensés, et le silence. Guiraudie filme une nature indépendante, toute-puissante. Claire Simon filme des rails de trains et des couloirs déserts. Sorrentino, des rues-fantômes, des afters dépressifs. Quel que soit le cadre dans lequel il s’agite, l’homme cherche vainement un sens à ses errances. Dans les trois films, on retrouve un constat similaire : une fois le bruit assourdissant des ébats, des villes ou des fêtes – ces raisons d’êtres que fantasment les hommes – il n’y a plus qu’une seule vérité, dans sa nudité la plus pure, la plus cruelle : il n’y a plus rien. Ni après l’amour, ni après la mort. Lorsqu’il n’est ni en train de jouir, (chez Guiraudie), de courir (chez Simon) ou de danser (chez Sorrentino), l’homme – animal, être vivant comme un autr e- n’a plus d’autre choix que de constater l’absurde, et l’absurdité qu’il y a à se faire face. In fine, c’est dans le film assurément le plus WTF du festival cette année, le Wrong Cops de Quentin Dupieux, ovni cynique aux relents de série Z, projeté à 21 heures, que cette absurdité et ce non-sens ont été pleinement assumés. Wrong Cops ne dit rien et Dupieux ne souhaite rien dire, car il n’y a rien à dire. Et chercher à y poser du sens, comme l’on cherche un sens à l’existence, ne serait que pure divagation.


15 octobre 2013