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Festivals

FNC 2013, jour 9: gifles et uppercut

par Céline Gobert

Avec sa néo-Black Mamba 100% catho, qu’interprète l’excellente Astrid Whettnall, Vincent Lanoo (Vampires) a offert au public, dans Au nom du fils projeté hier après-midi, un mix malin entre délire tarantinesque, pamphlet anti radicalisme (religieux ou non), et comique belgo-trash. Le sujet, pourtant, est grave: la pédophilie au sein de l’Eglise. Choisissant de le traiter, et de le dénoncer, via un humour corrosif, Lanoo (s’)amuse autant qu’il frappe là où il faut : silence des Chrétiens, dangerosité des extrémismes, conséquences désastreuses de l’obscurantisme. L’entertainment du spectateur est maintenu, le fil ténu entre drame et comédie aussi. En poussant plus loin, on pouvait également voir (le film n’imposant heureusement aucune interprétation toute faite au spectateur) une certaine forme de féminisme dans cette anti-héroïne qu’est Elisabeth de la Baie, mère de famille croisée folle furieuse, catholique convaincue, qui décide, après traumas, d’aller zigouiller liste en main tous les prêtres pédophiles. Sur son chemin de croix à l’envers, la femme, jusqu’ici écrasée par le pouvoir masculin (du père, du fils, des représentants de l’Eglise), (re)trouve, alors même qu’elle est enfin délestée de ses rôles sociaux (de mère, d’épouse, d’animatrice d’une radio catho), de son libre-arbitre ET de sa féminité.

D’ailleurs, la femme était aussi le sujet d’étude du Miss Zombie brillamment mis en scène par Sabu, présenté dans la section Temps 0 à 21h, histoire un peu tordue qui s’articule autour d’une famille japonaise ayant domestiqué une zombie, qui par la suite subira toutes sortes de sévices. Thématique peu propice à la rigolade, qu’est venu tempérer le petit jeu organisé avant la projection où trois spectatrices ont imité des râles zombiesques face à une salle bien remplie, afin de gagner des places de ciné. Le film, quant à lui, et à l’instar de Au Nom du fils, fait jaillir son propos d’un terreau propre au film de genre, et, offre une bien bizarre réflexion autour de la maternité comme force vitale et instinct de survie. L’enfant, que se disputent la mère et la morte-vivante devient la justification même de leur humanité, autant qu’il incarne un certain retour à la bestialité. Le film, pour le moins atypique, interroge notre rapport à la mort – le corps pourri de la zombie provoquant tour à tour peur (les cailloux que lui jettent les enfants), répulsion (les couteaux qu’on lui plante dans le dos), fascination et désir (les hommes n’hésitent pas à abuser sexuellement d’elle). Notre rapport à la mort, c’est aussi ce que questionnaient les deux premiers épisodes de l’intrigante (quoique très frustrante, pour ceux qui connaissent la non-issue de la saison 1) série française Les Revenants de Fabrice Gobert et Frédéric Mermoud qu’a projeté gratuitement le Cinéma du Parc en début de soirée. C’est encore vrai : pour parler de la vie, rien de tel que de filmer les morts.

Toutefois, si Au nom du fils et Miss Zombie sont indéniablement des petites gifles, bien senties et bien fermes, elles ne laisseront pas pour autant une grosse empreinte rouge sur les joues. Mouton de Gilles Deroo et Marianne Pistone, en revanche, oui. Projeté mercredi soir, il s’agit du véritable uppercut du festival, coup de poing inattendu, qui suit en plein Nord de la France le quotidien banal d’un jeune adolescent étrange, déficient mental sur les bords, et de la bande de freaks qui l’entoure. C’est simple : Mouton – qui a hélas perdu presque la moitié de ses spectateurs en route, bon nombre d’entre eux abandonnant la salle par vagues tout au long de la projection – possède la radicalité, le parfum, le courage, la puissance évocatrice d’un Bruno Dumont à ses débuts.

En effet, il était impossible de ne pas penser à L’Humanité devant le premier long-métrage de Gilles Deroo et Marianne Pistone tant la filiation saute aux yeux : mêmes gueules du Nord, même mouvement vers une certaine sacralisation, misère sociale, sécheresse peu aimable. Même plaisir à afficher ses freaks, à briser les codes de la temporalité. Mais « il faut bien tuer le père », comme l’a si justement dit Marianne Pistone à l’issue de la projection et face aux quelques spectateurs restants. Et c’est aussi ce que fait Mouton, avec sa forme propre, malade, (se) détournant et de la fiction et du documentaire, toujours à moitié, n’étant jamais ni l’un ni l’autre, pour mieux accoucher d’un entre-deux hybride, dérangeant, épuisant, objet filmique qui s’exerce avant tout, et surtout, dans le champ de la sensation, du sensoriel, du rituel. Le virage opéré dans la narration en milieu de course est l’une des actions de cinéma les plus osées, anti-conventionnelles, fines, donnée à voir depuis longtemps. Le geste implacable – qui énonce la tragédie et le néant qui en découle avant même de filmer (en longs et très lents plans d’une rugosité effroyable) ce dit néant – propulse le film droit en enfer, au cœur d’un âpre cauchemar sans issue, sans espoir, une horreur préfigurée, défigurée, doublement vécue, parce que déjà dite, et qui ne laisse ni choix ni sens, ni aucune autre intention que son seul et inévitable accomplissement. Mouton fait jaillir de la monstruosité et du « médiocre » (pour reprendre le terme employé par les cinéastes), un cinéma qui n’obéit à aucun code, si ce n’est à sa seule respiration, qui ne répond à aucune attente au-delà de sa boucle aux accents tragédiens et de sa perpétration couleur tourbe du vide et du désespoir. C’est tellement crade, tellement humain aussi, qu’il serait fou (et en soi bien plus fou que le film) de le laisser passer. Le génie du duo n’a d’ailleurs pas échappé au jury du Festival de Locarno (le film est reparti avec le Prix du jury, et le Prix du Meilleur premier film). En ce qui vous concerne, vous avez deux chances de vous rattraper et de découvrir cette proposition, rude, raide, dure, qui a divisé le public du FNC : samedi à 13h au Quartier Latin, et dimanche 17h15 au même endroit.


18 octobre 2013