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Festivals

Hot Docs 2015 – suite et fin

par Claudia Hébert

L’édition 2015 du festival a décerné les honneurs du meilleur documentaire canadien au film Haida Gwaii: On the Edge of the World, de Charles Wilkinson, un film racontant la lutte d’une communauté pour protéger un magnifique archipel au large de la Colombie-Brittanique. Le prix du jury canadien quant à lui est allé à un film québécois, Le profil Amina de Sophie Deraspe, une histoire enlevante de fausse identité web, entrelacée à celle des répressions syriennes.

À l’international, c’est le film de la britannique Karen Guthrie The Closer We Get qui est récompensé, une œuvre toute personnelle où la réalisatrice tourne sa caméra vers sa propre famille et en examine les étranges dynamiques. Le prix du jury est allé à The Living Fire, un film ukrainien s’intéressant à trois générations de bergers vivant dans les Carpates.

Maintenant que le festival est terminé, les Torontois se consolent avec le Bloor Cinema, un théâtre désormais propriété de Hot Docs et qui diffuse du documentaire à l’année. Ce vendredi y démarre d’ailleurs une rétrospective à ne pas manquer de l’œuvre des frères Maysles (Gimme Shelter, Grey Garden).

Pour les malchanceux hors Ontario, qui n’ont pas la patience d’attendre novembre et les Rencontre Internationales du Documentaire de Montréal (RIDM) : tout n’est pas perdu! Hot Docs offre une intéressante sélection de films en location sur Itunes; certains films apparaîtrons bientôt sur Netflix (What Happenned Miss Simone?); d’autres encore prendront sous peu l’affiche dans un théâtre près de chez vous (Kurt Cobain : Montage of Heck), sans compter que certains sont déjà sur des écrans montréalais (Le profil Amina est toujours présenté à l’Excentris cette semaine).

Quelques titres qui pourraient apparaître sur votre radar au cours des prochains mois :

WHAT HAPPENED MISS SIMONE?

But what happened, Miss Simone? Specifically, what happened to your big eyes that quickly veil to hide the loneliness? To your voice that has so little tenderness, yet flows with your commitment to the battle of Life? What happened to you?
-Maya Angelou – Redbook 1970

Nina Simone. Une immense artiste. Une pianiste qui rêvait de devenir la première concertiste classique noire. Une chanteuse jouant avec le jazz, le blues, le gospel et le folk. Une activiste des droits civiques qui a su utiliser sa renommée pour faire entendre sa rage. Une femme complexe qui pouvait s’arrêter en plein concert pour demander à des spectateurs de se taire.

La documentariste Liz Garbus (Love, Marilyn) s’attaque à la légende de Nina Simone et ce faisant, laisse au spectateur tout le loisir de se perdre dans les performances envoûtantes de l’artiste. Suivant une structure toute traditionnelle, Garbus dresse la biographie de Simone à coups d’images d’archive, d’entrevues avec ses proches et surtout avec des enregistrements où Miss Simone elle même raconte son enfance et son ascension, offrant une narration personnelle et intime pour un parcours absolument extraordinaire.

Mais le plaisir de What Happened Miss Simone? tient moins de la petite histoire qu’il raconte (quoique pour celui qui connaît la musique et non l’artiste derrière, le film de Garbus est une excellente introduction) que de la plongée généreuse dans les performances sur scène de Nina Simone.

Grâce à de précieuses archives captées là où Miss Simone était le plus dans son élément – sur scène – on nous offre ses plus grands succès en quasi intégralité; sans toutefois transformer le film en simple pot-pourri. Laissant les performances respirer, éblouissant le spectateur par l’immense présence de la chanteuse, What Happenned Miss Simone? est un hommage à l’artiste et à sa musique. On évite toutefois la complaisance, confrontant tout aussi bien les côtés sombres de l’artiste que la lumière qu’elle offrait à son auditoire. On passe peut-être un peu vite sur les moments les moins reluisants, mais ceux ci nous donnent tout de même les réponses à la question que posait Maya Angelou en 70; celle que relaie aujourd’hui Liz Garbus.

THE BARKLEY MARATHONS : The Race that Eats its Young

Une course en pleine forêt, avec des indications floues. Un trajet de160 kilomètres, qui doit être complété en dessous de soixante heures. Une centaine de concurrents internationaux, mais seulement quarante élus pour se mesurer à la piste. Coût d’entrée : 1,60$, une plaque d’immatriculation représentant la provenance du coureur et une chemise de flanelle pour l’organisateur.  Un défi qui ne fut relevé que dix fois aux cours des premières vingt-cinq années d’existence du Barkley Marathons.

Les cinéastes Annika Iltis et Timothy Kane sont tombés sur un sujet en or, aussi fabuleux que méconnu. Qu’aucun documentaire n’eut encore été fait sur la course ayant lieu annuellement au Tenessee est étonnant, mais c’est tant mieux; le tandem nous arrivant aujourd’hui avec le parfait compte rendu de l’événement, étant de plus tombés sur une édition avec des participants tout à fait exceptionnels.

Il faut dire que l’homme derrière la course doit être crédité pour un travail de mise en scène absolument fascinant. Sa course est follement cinématographique et d’une drôlerie irrésistible : le coup d’envoi est donné par l’allumage de sa cigarette; une trompette entonne l’hymne funéraire militaire quand des participants abandonnent; des livres sont placés stratégiquement sur le trajet et les coureurs doivent déchirer des pages précises pour prouver leur passage… Mais si on s’amuse beaucoup au visionnement de ce The Barkley Marathons, que de suspense aussi! Alors que l’on ne rêve de voir ne serait-ce qu’un seul participant s’approcher peut-être de la ligne d’arrivée!

Heureusement le film n’est pas alourdit par des histoires d’intérêts humains. À une exception près, on reste en surface des vies privées des coureurs et on ne cherche pas à légitimer leur quête en fouillant dans les drames de leur passé. Non. L’important, ce ne sont pas les embûches de la vie quotidienne, mais plutôt cet exploit, ici et maintenant; ce combat contre soi-même; ce moment où on repousse les limites du possible.

The Barkley Marathons : The Race that Eats its Young est un coup de cœur pour le public, un film aussi attachant qu’hilarant, dirigé par des talentueux réalisateurs qui savent se faire discrets, laissant toute la place à cet événement plus grand que nature.

GAYBE MAYBE

Un documentaire dans l’air du temps, abordant un objet de débat un peu partout dans le monde: l’Homoparentalité.

Avec Gaybe Maybe, l’australienne Maya Newell s’attaque à un sujet qu’elle connaît bien, ayant elle-même été élevé par deux femmes. Suivant quatre enfants issus de familles avec des parents du même sexe, Newell s’attaque au défis du quotidien, aux stigmas et aux préjugés avec attention et tendresse.

Film à thèse, Gaybe Maybe manipule malheureusement de trop grosse ficelles et Newell se joue sans finesse d’une construction documentaire complètement artificielle. Chaque enfant est arrimé à une quête et est présenté dans le cadre d’un arc narratif qui semble plaqué, voir parfois presque faux. Celle-ci veut absolument intégrer une école de chant, où – lui dit-on –  la vie sera plus douce pour une enfant issue d’une famille non traditionnelle. Celui-ci se pose des questions face à la religion et sur ce que dit la Bilble de ses deux mères. Cet autre rêve d’aller voir un match de lutte mais n’a pas de père pour l’y amener…

Mais malgré la candeur de l’entreprise, ces quêtes semblent scénarisés, jouées et amplifiées pour la caméra. Le montage organise régulièrement des allers et retours dans le temps qui montrent bien la fausseté de la progression de l’histoire qui nous est racontée; des raccourcis sont pris pour arriver à la trame dramatique qu’à écrit Newell pour défendre son point; et les conclusions tirées sont un peu bâclées.

Les intentions de la cinéaste sont de toute évidence empreintes d’une grande sincérité, mais le résultat manque sa cible par excès de bonne volonté.

 

 


4 mai 2015