Je m'abonne
Festivals

L’animation à Clermont-Ferrand 2014

par Nicolas Thys

Cette année, au festival du court métrage de Clermont-Ferrand, l’animation oscille entre deux camps : une relecture du festival d’Annecy 2013 et quelques nouveautés qui risquent fort de figurer à l’édition 2014. On fera donc l’impasse sur ces premiers films, même si certains mériteraient à eux seuls un long texte, pour se concentrer sur les inédits à découvrir.

Commençons par une remarque de taille : le regret de voir un recul de l’animation dans la sélection internationale. Sur 14 programmes et 75 films proposés, ne subsistent que cinq courts animés. La partie nationale en compte 13 pour 60, mais ceux-ci sont crédités dans le catalogue de « fiction animée » ou d’« animation documentaire », comme si la simple mention « film d’animation » était de l’ordre de l’impossible. Où donc peut-on voir ce qui va nous intéresser aujourd’hui ? Une fois de plus dans les programmations destinées aux plus jeunes et aux scolaires avec un programme « enfants » trop hétérogène et, à force de vouloir toucher tout le monde, parfois régressif : tout est loin d’être de qualité égale. Le gros de l’animation se situe dans la troisième sélection intitulée « Labo » où elle représente pratiquement la moitié des 29 courts métrages. On pourra arguer que la plupart des films animés sont effectivement de pures expériences plastiques et sonores, mais cela reste réducteur et on regrettera surtout que le public, moins enclin à se déplacer dans ces programmes aux œuvres souvent magnifiques, mais plus difficiles d’accès, doive se passer d’une forme cinématographique majeure.

Heureusement, toutes les techniques sont représentées, même si l’animation en volume semble malheureusement en perte de vitesse. On a également assisté à la projection de quelques films qu’on verrait plus particulièrement dans la sélection Off-Limits du festival d’Annecy. Le Off-Limits, inauguré par Marcel Jean en 2013, propose des courts qui ne sont pas toujours à proprement parler de l’animation, au sens où ils bouleversent les limites posées par l’image par image (ou le point par point) pour proposer un travail graphique et mobile qui s’en détache, mais en reste proche. Le plus bel exemple à Clermont-Ferrand est certainement l’espagnol Montaña en sombra de Lois Patiño qui propose une vision onirique de skieurs sur des pistes, souvent de nuit et de loin. L’ensemble donne lieu à des compositions quasi picturales et fixes, proche de la peinture abstraite avec aplats de noir et de blanc sur lesquels se déversent de fugitifs points noirs comme si quelques particules voulaient changer l’ordre établi par la nature et s’échapper. Le mouvement se fait plus présent à mesure qu’on s’approche de ces formes miniatures qui n’ont plus rien d’humain pour disparaitre à nouveau comme des gouttes de pluie sur une fenêtre, laissant sans cesse une trace derrière eux.

Parmi les films d’animation présentés ici, on notera la forte présence de courts qu’on pourrait qualifier de « mystico-magiques », dans le sens où même s’ils partent d’éléments plutôt réalistes et souvent narratifs, ils nous plongent dans des univers fortement reliés à la magie ou à un certain mysticisme, religieux ou non. Citons par exemple Cargo Cult de Bastien Dubois, qui explore les relations entre technique et magie et qui a fait déjà le tour des festivals. Du côté des nouveautés, on verra le Suisse Hastia Santiago de Mauro Carraro, sur un périple le long du chemin de Compostelle, ou Heir to the Evangelical Revival, réalisé par Wendy Morris en Belgique néerlandaise. Cet exutoire filmique des plus symboliques, où métamorphose et imagerie christique tendent à ne plus faire qu’un, propose une plongée en noir et blanc dans l’héritage religieux de la cinéaste, athée, mais enracinée dans un protestantisme paradoxal dont elle ne sait que faire. Dans des styles opposés, on recommande fortement Sangre de Unicornio de Santiago Vasquez et le bel Oripeaux de Sonia Gerbeaud. Ce dernier utilise l’animation pour transcender l’espèce animale et interpeler sur l’inhumanité des hommes. Le style graphique fait mouche qui donne aux bêtes des formes courbes et élancées associées à un mutisme qui en dit long, pendant que les êtres humains se complaisent dans une grossièreté physique à la géométrie disgracieuse qui n’a d’égal que leur langage incompréhensible. Sangre de Unicornio, quant à lui, se complait dans la laideur d’un monde sur le point de disparaitre et rejoue la parabole de la naissance de l’homme et du péché originel qui passe ici par le meurtre d’une licorne (crime odieux selon Harry Potter). Graphiquement, on passe de paysages rose bonbon à l’apparition d’un brouillard rouge sang, tout en déchiquetant au passage les clichés mignons par excellence : du beau nounours au comportement monstrueux à l’autre peluche borgne et obèse dont la chair flasque est le point d’orgue de l’animation : grossière, mais fluide. Fratricide, comportement incestueux, moments gores : tout y passe dans cet univers uniquement fondé sur la dérision et le sarcasme.

Les pays d’où sont venues quelques-unes des plus belles surprises, qui furent également le mieux représentés lors du festival, ne sont pas ceux qu’on cite toujours en premier en évoquant le cinéma d’animation. Il s’agit du Royaume-Uni et de l’Irlande avec huit films en labo soit plus de la moitié des courts animés de la sélection. À l’exception de In the Air is Christopher Gray, qu’on a pu voir hors compétition à Annecy en 2013, les autres sont des nouveaux venus. Les techniques utilisées sont nombreuses et la variété des genres assez étonnante, même si la plupart de ces œuvres se caractérisent par un minimalisme très prononcé et un humour décalé, à l’exception peut-être des « féminins » The Shirley Temple de Daniela Sherer et Through the Hawthorn d’Anna Benner, Pia Borg et Gemma Burditt. À la simplicité de la forme du premier, qui joue sur le noir et blanc (avec une pointe de rouge) et sur les transformations d’un monde sombre au gré des errances d’un petit garçon lors d’une soirée où il sera confronté à un univers adulte et sexualisé, répond le dispositif plus complexe du second film où il sera question de psychiatrie et des rapports mère/enfants lorsque celui-ci souffre de schizophrénie. Through the Hawthorn découpe l’écran en trois parties, chacune consacrée à un personnage et animée par une des trois réalisatrices, dans des techniques qui, souvent différentes, viennent s’entremêler et où la prise de vues réelles semble figurer les problèmes mentaux du protagoniste. S’il peut laisser perplexe au début, on a là une des représentations les plus ingénieuses de la maladie mentale et du rapport patient/docteur/famille où les mouvements d’un personnage, fluides ou hachés, en perpétuelle transformation ou à l’arrêt, réagissent en contrepoint des autres pour évoquer les problèmes relationnels.

Parmi les autres films, The Missing Scarf d’Eoin Duffy, The North Sea Riviera de Joshua Wedlake et The Age of Curious de Luca Toth utilisent une 3D numérique souvent schématique et des couleurs prononcées. On s’arrêtera surtout sur The Missing Scarf, film irlandais aux faux airs de David OReilly, qui laisse suggérer que les deux cinéastes ont pu échanger quelques Guinness animées autour de leur conception du monde qui entremêle enfance naïve et apocalypse décérébrée. Côté technique, tout est très animalier et géométrique : un écureuil en origami au pragmatisme décalé marche dans la forêt et rencontre d’autres animaux constitués de figures géométriques toujours simplifiées au maximum. Enfin, citons deux inclassables : le sentimentalo-psychopathe I Love You so Hard de Ross Butter, dessin (volontairement mal) animé dans lequel une horreur déclare à sa bien-aimée, tout aussi moche, ce qu’il serait capable de faire pour elle… et on n’aimerait pas être à sa place. Le cinéaste nous plonge dans une comédie scatologique de bas étage, mais, au milieu d’un panel de films très sérieux, ce fut une bouffée d’air (pas si) frais bienvenue. Enfin, « the last but not least », Marilyn Miller, signé Michael Please, qui utilise la stop motion et le noir et blanc pour offrir un discours amusé et ironique sur l’acte de création, l’éphémère et l’absurdité de l’art contemporain.

De l’autre côté du globe, l’animation japonaise est venue cette année avec deux courts à voir. Le premier, It’s Time for Supper de Saki Muramoto, est d’un réalisme déconcertant. Ce dessin animé à mille lieues des actions incessantes du manga prend appui sur le quotidien et la répétition d’actions banales, de lieux communs, ou de personnages qu’on croise ou recroise au détour d’une rue. Alors que son esthétique ne tend pourtant pas vers un hyperréalisme, on découvre une chronique de quelques minutes qu’on peinerait à trouver hors du cinéma japonais de prise de vues directes. L’idée est simple : que se passe-t-il pendant le moment qui précède le retour chez soi avant de dîner ? L’existence est cyclique et les jeux se terminent, les actions changent et le mouvement aussi. C’est une certaine idée du temps qui se déploie, un temps insignifiant, répétitif et qu’on n’ose peut-être pas filmer par peur d’ennuyer et par peur du vide aussi. Mais Muramoto s’en empare et parvient à nous le faire agréablement ressentir justement peut-être parce qu’il a choisi la voie de l’animation. Le second film nippon, Junk Head, est un ovni. Premier film entièrement produit et réalisé par Takahide Hori en volume pendant son temps libre et en quatre ans, il n’a bénéficié d’aucun financement et d’aucune aide (pour son prochain court, il lance une opération de « crowdfunding »). Si tout est loin d’être parfait, pour un autodidacte isolé, le résultat reste impressionnant. Dans un monde futuriste qui prend appui sur des références connues des amateurs de SF, les humains, après avoir confiné les clones dans les entrailles de la Terre à la suite d’une rude bataille, envoient une sonde pour voir comment ces derniers survivent. L’idée a des airs de déjà-vu, mais Hori ne cherche pas les sentiers balisés. Il en rajoute tellement que son film part dans tous les sens, en devient presque malsain, mais il en résulte quelque chose d’étrange qui mérite le détour.

Impossible, pour terminer, de ne pas mentionner la petite déception que fut Encore des changements des Français Benoit Guillaume et Barbara Malleville, lecture animée d’un texte d’Henri Michaud, poète aux images fortes et troubles sur lequel on ne reviendra jamais assez. Les réalisateurs livrent un travail graphique brillant, mais ils n’ont malheureusement pas suffisamment confiance en la puissance poétique de leurs images, pourtant bien réelle, et ont choisi la redondance et le cafouillage audiovisuel en les agrémentant du poème lu. La diction et la voix d’André Wilms ne sont nullement en cause, il résulte simplement de la lecture un double problème. D’une part une redondance texte/image bien trop convenue, d’autre part un manque d’attention vers l’un ou l’autre : concentré sur le texte, les images passent sans qu’on les voie et réciproquement. À la limite, pourquoi pas, quelques vers gravés dans les paysages auraient pu, sans casser le rythme, revenir sur une partie texte s’ils y tenaient tant, mais ce n’était même pas nécessaire. Dommage, car on avait là matière à un brillant travail d’adaptation et surtout de mise en mouvement et de réappropriation (bien plus que d’illustration) d’un texte poétique par des moyens propres au cinéma, à l’animation et à ses perpétuelles transformations.

Photo : Junk Head de Takahide Hori


5 février 2014