Fantasia 2013 – Blogue 1 : Le vrai film d’horreur, c’est la vie elle-même
par Céline Gobert
C’est drôle, mais les meilleures œuvres présentées depuis le début du festival Fantasia ne sont pas des films d’horreur. Du moins, pas dans le sens dans lequel on pourrait l’entendre. Les œuvres les plus fortes, viscéralement parlant, ont simplement extirpé leur violence du puits de la vraie vie. Et ce, pour mieux nous éclabousser.
Que ce soit via une imagerie onirique qui emprunte ses monstres aux cauchemars de l’adolescence (Animals de Marçal Forés), ou via un cocktail vicié de buddy movie, claustro-survival et film de zombies (The Battery de Jeremy Gardner), ou bien encore, via le calvaire étiré, mi-trash, mi-folk, d’un couple face à la leucémie de leur enfant (The Broken Circle Breakdown de Felix van Groeningen), les cinéastes ont su, sinon remuer nos entrailles, capter la cruauté de l’existence. Une chose est sûre : le véritable film d’horreur est souvent la vie elle-même, dans toutes ses contradictions, ses drames, ses extrêmes, ses imprévus dégueulasses. Dans les trois films précités – les œuvres les plus intenses présentées en cette fin de semaine à Fantasia – les cœurs sont pris au piège, les codes sont malmenés, voire déjoués, avec malice et acharnement.
The Battery de Jeremy Gardner en est la preuve parfaite. Alors même que l’on ne compte plus les dérivés et dérives du film de zombies, Gardner débarque et dézingue tous les poncifs. L’air de rien, et au son des Wise Blood qui plus est ! Il donne à son survival en terre hostile des allures weird, de film de potes, de promenade bucolique menacée, de huis clos hautement pervers. Le challenge était de taille, et Gardner épate, avec peu de moyens. Ouf, le bon ciné indé n’est pas encore mort !
Dans l’espagnol Animals, Marçal Forés brouille aussi les pistes, offre à voir la confusion des sens adolescente à travers une atmosphère fantastico-anxiogène très travaillée. Les sons sont triturés, les chairs mises à mal, les innocences bafouées. Le film, pesant et fascinant, suit Pol, un gamin qui parle à son ours en peluche, qui se refuse à ses pulsions (sexuelles, notamment), qui sombre à mesure que le film gagne en opacité. C’est tour à tour, touchant (le refus de grandir), sensible (l’éveil homosexuel), éprouvant (la tension paroxystique du final). Le film ne peut se cataloguer. C’est souvent le cas avec les œuvres que déniche Fantasia : elles ne sont pas à ranger dans des cases, adoptent une liberté de ton réjouissante, engagée, qui fait du bien aux yeux et aux oreilles.
Les oreilles, parlons-en. Elles se sont régalées à l’écoute du belge The Broken Circle Breakdown qui suit deux amoureux musiciens sur sept ans de vie commune, les morceaux, joués et chantés à l’écran, venant rythmer l’horreur qui s’abat sur leur vie. L’œuvre, dont vous allez à coup sûr réentendre parler, est morcelée, non linéaire, et capte au vol la rencontre, la passion, la frénésie amoureuse de deux marginaux. Avant de narrer leur chute. Descente aux enfers pèle-mêle. Les bonheurs qui côtoient les tragédies. Les mots d’amour qui se muent en reproches haineux. La vie qui devient mort. Pour filmer le cancer de leur petite fille, puis le calvaire qui s’en suit, Felix van Groeningen évite tout pathos et accouche d’un mélange de réalisme cru et de tendresse infinie éminemment poignant. C’est un film très, très fort. Dur. Mais d’une beauté noire difficilement résumable, tranchant les cœurs, cruelle, comme les épines d’une rose.
The Battery est présenté à guichets fermés dimanche 21 à 17h10. Animals sera présenté le 27 juillet à 17h50, The Broken Circle Breakdown le 30 juillet à 21h30. Salle J.A De Sève.
Céline Gobert
21 juillet 2013