Où en est l’animation TV ? Un point avec le Cartoon Forum 2016…
par Nicolas Thys
Sous l’égide du programme Creative Europe – MEDIA et de Cartoon, fin septembre, la ville de Toulouse, habituellement célébrée pour son cassoulet et ses violettes, réunit depuis 5 ans maintenant tous les acteurs de la série télévisée d’animation dans le cadre d’un forum de coproduction européen. Investisseurs, diffuseurs, acheteurs internationaux et producteurs sont présents afin de pitcher de nouveaux projets, d’en présenter certains en développement ou de chercher des financements. Même si la plupart d’entre eux ne verront jamais le jour, c’est une bonne manière de faire le point sur l’actualité des séries animées, d’autant que le forum tend à élargir ses horizons géographiques d’année en année.
En effet, depuis sept ans, deux événements « Cartoon connection » Canada et Asie ont été créés à Québec et en Corée du sud afin de favoriser les échanges créatifs, les partenariats économiques et les coproductions pour s’ouvrir et aller au-delà de l’Europe. Et, alors que des productions québécoises et coréennes ont été présentées cette année à Toulouse, on relèvera un nombre croissant d’achats de séries européennes hors de l’Europe et de coproductions transatlantiques qui s’amorcent, que ce soit dans l’animation TV ou dans le long-métrage, comme on a pu le voir au Cartoon Movie – l’équivalent pour le long-métrage animé du Cartoon Forum – qui s’est tenu à Lyon. De même, certains studios d’animation commencent à s’implanter des deux côtés de l’océan comme 2 minutes, Blue spirit ou I can fly.
Parmi les 80 projets proposés, il ne nous a été possible d’en voir qu’une partie. Mais certains chiffres, qui n’évoluent guère année après années, sont révélateurs de l’offre : 8 séries sont destinées à un public ado/adultes, 21 pour les moins de 6 ans, et 51 pour un public enfants-famille. Et, une tendance ne change pas : les séries animées produites pour un public plus âgé ont une fâcheuse tendance à ne pas se faire alors que ce sont souvent les plus originales et subversives. On pourrait croire que le public, trop attaché à l’idée que l’animation est faite les plus jeunes, boude l’animation plus adulte. Mais alors comment expliquer le succès de séries US ou des animés japonais pour ados/adultes sur les marchés européens ?
Le nombre de fois où l’on a entendu les différents acteurs du marché s’exclamer « on ne peut pas produire ou diffuser ça en Europe » alors que les salles où les projets étaient pitchés étaient pleines à craquer est certainement le grand symbole de l’immobilisme d’une profession incapable d’évoluer. De même, lorsque le constat que le public ado/adulte tend à quitter la télévision pour se réfugier sur internet est établi, l’idée de repenser et changer les pratiques et modèles de diffusion ne semble guère venir à l’esprit des professionnels enclavés dans ce désuet petit écran dont ils redoutent les mutations. Alors certes, on ne voit plus de projets arriver sans « transmédia » qui devraient révolutionner tout cela, mais elles sont chères, déjà formatées pour la plupart et on peut douter de leur réelle efficacité.
Il n’était guère surprenant d’entendre Nicolas Schmerkin (Autour de minuit) présenter The Winds-up, un projet franco-espagnol destiné au web ou à la télévision comme s’il redoutait d’avance la glaciaire frilosité des diffuseurs pour son projet pourtant très chaud et amusant. Et cette série d’une quinzaine d’épisodes de 3 minutes pourrait fonctionner tant ses personnages sont « attachants » : Jumping Willy, un petit pénis désespéré par son manque d’activité, Walking Jenny, un vagin à moitié rasé qui s’ennuie de simuler des orgasmes par solidarité, sa très entrainée meilleure amie Handy hand, Joe Junior, un sexe masculin à l’allure punk taille XL, ou Peeping Joris, un œil toujours occupé à épier à travers chaque trou… Tous ces protagonistes sont des jouets en 3D se déplaçant dans un environnement minimaliste et qui se jouent des tabous.
Le fait que l’animation soit d’abord pensée pour les enfants perdure à la télévision. Ce ne serait au demeurant pas gênant si tous les projets étaient réellement innovants, intelligents, avec un réel désir de proposer des choses différentes et originales tant au niveau du contenu narratif que de l’animation ou du graphisme. Or c’est rarement le cas et une majorité respire la sempiternelle variation sur du déjà-vu, notamment dans les séries proposées aux plus petits. Dans cette catégorie on retiendra trois projets. D’abord, Un cadeau pour Sophie tiré de l’ouvrage musical du poète et chansonnier québécois Gilles Vigneault et de l’illustrateur Stéphane Jorish, destiné aux moins de sept ans. Cette fable explore les thèmes du deuil et de l’amitié et repartirait des illustrations originales pour une animation en 2D sur ordinateur. Il s’agit d’une coproduction franco-québécoise lancée par Image-In et Fair play.
Les Mironins sont, comme le titre l’indique en parti, une série autour du peintre espagnol Joan Miró. Lancé par la fondation Joan-Miró de Barcelone, le projet cherche à mettre en valeur les œuvres du peintre surréaliste dont l’œuvre revêt un caractère enfantin par moment. Il s’agira d’animer des petits êtres en forme de gros yeux colorés sur pattes ayant chacun leur personnalité, rappelant les Shadoks et issus des toiles de l’artiste. Ces créatures prendront vie la nuit venue avant de retourner dans leur cadre tôt le matin et devront faire attention à l’agent de sécurité comme aux personnes qui s’occupent du ménage. Elles seront secondées dans leurs aventures par d’autres êtres étranges comme un « Ubu ». Chaque épisode devrait mettre en valeur un de ces mironins et durer 7 minutes, soit l’équivalent d’un cartoon. Les producteurs, espagnol et polonais sont encore en recherche de financement. Enfin, les Melody Makers entraineront les plus petits dans le monde de la musique et des émotions qu’elle inspire avec des personnages colorés en forme d’instruments de musique pour faire découvrir mouvements, rythmes, et différents genres en naviguant d’illustrations concrètes à une animation plus abstraite. Le réalisateur veut travailler le mélange des styles et utiliser une animation 2D sur ordinateur, le dessin, le papier découpé, la peinture ou l’aquarelle. C’est unanico group qui développe le projet au Royaume-Uni.
A noter également un projet 100% québécois, Les Tuques, une série inspirée du long-métrage La Guerre des Tuques dans une 3D quasi identique, avec beaucoup de musique, du merchandising à volonté et des personnages aisément identifiables. La série repose sur l’humour, l’action, la surprise et reprendra les éléments de décor du film. En somme, un projet sans grande profondeur, avec rien de nouveau à l’horizon et qui devrait donc bien fonctionner tant le formatage habituel semble inhérent au projet.
Parmi les bonnes nouvelles, signalons l’arrivée dans le champ de l’animation télévisée de pays dont on entendait peu parler jusque-là même si certains comptent déjà dans leurs rangs de grands cinéastes. Cette année, on pouvait assister à des pitchs de projets provenant d’Estonie, de Lituanie, de Hongrie, de Bulgarie, de Macédoine, de Finlande, de Lettonie ou de Croatie… Et l’Europe de l’est en général s’est distinguée avec des projets originaux – peut-être parfois trop pour espérer un passage à la télévision mais bon… Attardons nous notamment sur Manivald and the absinthe rabbits, l’une des séries les plus amusantes qu’on ait vues. Les amateurs de courts-métrages animés connaissent déjà l’estonienne Chintis Lundgren et notamment son Life with Herman H. Rott au graphisme enfantin et au discours satirique et noir. Elle revient cette fois avec une série du même ordre et toute aussi « gaie », centrée autour de Manivald, un renard qui vit avec sa mère, tombe amoureux d’un loup séducteur pour le retrouver au lit avec sa génitrice. On imagine le choc ! Il s’enfuit donc pour se retrouver entraineur dans un bar gay underground tenu par un hérisson névrotique qui se déguise en femme et Brunehilde, son épouse très conservatrice qui n’a pas encore compris que l’endroit où elle travaillait n’accueillait pas que des petits animaux hétéro. Manivald aura, au fil des 13 épisodes de 11 minutes prévus, des interludes musicaux avec des lapins, une histoire avec son ex-nounou, un psychanalyste, un loup dans un sauna, et il survivra à de nombreuses histoires mystico-romantico-drôles et le tout dans une 2D traditionnelle. Pour le moment les personnages sont dessinés, les synopsis sont écrits, le script du pilote également. Les producteurs, Chintis Lundgreni Animatsioonistuudio pour l’Estonie et Adriatic animation en Croatie, cherchent encore des coproducteurs internationaux (même au Canada – et plus ils auront d’argent, plus vous soulagerez l’auteur de ces lignes de la frustration de ne peut-être jamais voir cette série !), des acheteurs, des diffuseurs et des spécialistes du son et de la musique.
Du côté des programmes ados/adultes venus d’Europe de l’est, le Cartoon forum accueillait également un Candide hongrois, dont on avait vu le premier épisode lors du dernier festival d’Annecy. Produit par Cinemon Entertainment et Popfilm, plutôt spécialistes de la prise de vues réelles, cette adaptation contemporaine, psychédélique et déjantée du roman de Voltaire est faite en 2D traditionnelle et réalisée par Borbála Zétényi dont on se souvient du court trip Limbo-Limbo travel. La série, qui en est déjà à un stade avancé, suivra les péripéties de Candide et de son maître-philosophe Pangloss qui s’enivreront de pilules d’optimisme à travers le monde pour décrypter de manière satirique les travers de la société contemporaine. On a hâte de voir l’épisode où le BHL sous LSD qui accompagne Candide devient un nouveau Steve Jobs lors d’un voyage vers la Silicon valley…
La Pologne n’est pas en reste avec How I became a supervillain dont le projet a tout juste été esquissé. Créé par Krzysztof Ostrowski, le chanteur des Cool Kids of death, également dessinateur de BD, la série mettra en scène un père « super » méchant qui cherche à subvenir aux besoins de sa famille et son fils aux pouvoirs limités harcelé à l’école. Tous deux ont pour objectif de contrôler le monde et de fabriquer une super arme dans leur petite ville de province. Ils seront en concurrence avec quelques autres très méchants comme un évêque démoniaque qui dirige l’Injustice league (certainement plus cruelle et intéressante à suivre que la dernière adaptation DC comics). Les scénarios sont orientés réalisme-social avec un humour corrosif et des personnages déjantés. On espère qu’ils trouveront des financements !
On finira par The Golden apple, une série Bulgare qui servira de transition avec l’autre bonne nouvelle du salon : le regain d’intérêt pour les feuilletons animés qui avaient quasiment disparu de la circulation – hors Japon – depuis une vingtaine d’années. En France, Delphine Maury avait réussi à remettre le format au goût du jour avec Les Grandes grandes vacances qui fut un énorme succès et Folimage cherche à lui emboiter le pas avec La 4ème planète qu’on espère voir sur les petits écrans d’ici un an ou deux. Peut-être qu’avec encore un ou deux succès les diffuseurs verront que les enfants ne sont pas stupides et qu’ils peuvent survivre à ce type de programme tout comme ils les regardaient dans les années 80 avec les adaptations de Tom Sawyer, Sherlock Holmes, Princesse Sarah, Heidi, Ulysse 31… ou des créations comme Les Mystérieuses cités d’or ou Les Mondes engloutis. Seul le Japon semble avoir conservé ce type de séries, souvent issu de mangas, et c’est peut-être une des raisons pour lesquelles la japanime a tant de succès aujourd’hui auprès des moins de 35 ans. Il est toujours incompréhensible de voir les réticences des chaines de télévision vis-à-vis des feuilletons…
La Bulgarie nous prépare donc une série plutôt orientée héroic-fantasy. The Golden apple sera centré autour de quatre adolescents qui doivent parcourir un pays afin d’aller chercher cette pomme d’or, qui exhausse tous les vœux et permettra d’éteindre un conflit qui se prépare entre les humains et les esprits pour retrouver la paix. Rien de bien nouveau mais l’écriture semble intéressante, les personnages bien détaillés, la mythologie assez différente de ce qu’on voit habituellement car elle prend place dans les légendes d’Europe de l’est et l’animation, à base d’aplats de couleurs assez simples, offre une signature graphique adéquate
Trois autres projets de feuilleton sortent du lot. Le premier, Toby Alone est porté par Delphine Maury et Tant Mieux prod. Il s’agit de l’adaptation d’un roman pour enfant de Timothée de Fombelle, Toby Lolness, qui a remporté un grand succès dans plusieurs pays. Il suivra l’histoire de Toby, onze ans et pas plus grand qu’un pépin de pomme. Il vit avec les siens dans un arbre immense au milieu d’une forêt et cet arbre représente son univers. Mais un des habitants fait capturer son père, un savant, afin de s’emparer une invention qui lui permettra de régner en maitre pendant que l’adolescent est pourchassé. Il rejoint Elisha et, avec elle, ils vont aller au-delà des limites de l’arbre et tenter de sauver celui-ci. On est en présence d’une véritable histoire longue avec de multiples enjeux politiques et écologiques autour de questions comme le progrès et l’exploitation des hommes et de la nature qui pourraient donner lieu à une belle série familiale. D’un point de vue technique, la série serait faite en 2D traditionnelle avec des jeux sur les dimensions, sur les couleurs et sur les façons de représenter la réalité. Seule réel challenge, le format annoncé : 13 épisodes de 52 minutes, ce qui est banal pour des séries live mais pas encore pour les séries animées. On espère que des chaines courageuses iront aider ce projet !
Toujours en France, Les armateurs préparent Runes, projet écrit par Guillaume Mautalent et Sébastien Oursel (Les Grandes grandes vacances citées plus haut) et qui serait réalisé par Augusto Zanovello. Cette série ne sera pas en volume comme pouvait l’être Lettres de femmes, mais en dessin animé et se déroulerait en Normandie au temps des Vikings, de leurs légendes. Guillaume, futur Duc de Normandie et roi d’Angleterre, n’a alors que 12 ans. Son père vient de mourir et il doit fuir et vivre en anonyme comme paysan au risque d’être assassiné dans des querelles pour l’accès au trône. Appelé Willemot, il se fait plusieurs amis qui ne connaissent pas sa véritable identité et, ensemble, ils iront aux devant d’aventures ancrées dans les mythes nordiques autour des runes, de leurs pouvoirs et de démon libérés dans le Trou Baligan comme Loki, des trolls ou des gobelins. Le studio imagine la série comme une fresque de 22 épisodes de 26 minutes (ou 44 de 13 minutes) réalisés en 2D sur ordinateur. Enfin, les amateurs d’aventures iront lorgner du côté d’une adaptation de Jack London, Le Loup des mers, par un autre studio français, Elda production. C’est le genre d’histoire classée ados/adultes mais que les pré-ados pourraient regarder dès 8 ou 9 ans. Le récit est centré sur Loup Larsen, capitaine d’une goélette, violent, cruel et qui terrorise son équipage. Secouru à la suite d’un naufrage, Humphrey Van Weyden, critique littéraire, va devoir vivre sur ce bateau où il sera confronté au nihilisme du capitaine. C’est alors qu’une jeune femme perdue en mer est à son tour secourue par le capitaine… Aux commandes de ce voyage en mer découpé en une dizaine d’épisodes de dix minutes, on retrouvera Emmanuel Gorinstein (Skyland) qui officiera à l’aide de peinture et de techniques en 2D.
En plus des feuilletons, deux spéciaux de 26 ou 52 minutes ont également été proposés. Encore heureux qu’il fait beau est l’adaptation d’un roman de Florence Thinard et il serait réalisé par Youri Tcherenkov (Le Trop petit prince) pour les films de l’Arlequin et Chromatiques. Le récit est plutôt original puisque centré sur une bande d’enfants qui, lors d’un passage à la bibliothèque Jacques Prévert, se retrouvent être en train de flotter dans un océan qui semble sans fin avec comme seul navire cette même bibliothèque. Ils vont devoir affronter tempêtes, manque de nourriture et maladies, mais surtout ils vont devoir cohabiter ensemble. Gebeka semble intéressé pour une distribution mais les studios cherchent toujours des coproducteurs, préventes et diffuseurs.
Enfin, Folimage et les suisses de Nadasdy film sont venus présenter leur nouveau projet, Vanille, un récit initiatique autour d’une quête identitaire. Vanille est une petite fille de neuf ans, vivant à Paris et dont la mère, qui vient de décéder, était d’origine antillaise. L’enfant va, à contre cœur, passer ses vacances chez une tante en Guadeloupe et là, elle va découvrir un nouveau monde et se retrouver embarquée dans un récit fantastique. En effet, un matin, tout le monde se réveille chauve et soupçonne un soukounian, un sorcier habitant dans un fromager. Elle va faire la rencontre d’Oba et partir à la recherche d’une fleur qui pourrait les débarrasser de cet être maléfique, l’Arum-Titan. La réalisation, qui combinera des éléments animés et des décors en prises de vues réelles, et l’écriture seront confiées à Guillaume Lorin et la conception graphique à Antoine Lanciaux. La seule remarque qu’on s’est fait en écoutant ce joli projet est : comment vont-ils faire tenir un récit aussi dense en seulement 26 minutes ?!
Parmi tous les autres projets, d’autres auxquels nous n’avons pu assister paraissaient intéressants. Signalons en quelques mots le projet d’une nouvelle série autour de Mr. Magoo, le personnage créé par John Hubley en 1949 pour la UPA, que produirait Xilam (Oggy et les cafards). Contrairement à la plupart des reprises de séries antérieures, ils ont la bonne idée de ne pas chercher à l’adaptater en CGI et on les en remercie ! La nouvelle société de Didier Bruner, Folivari, associé à Cyber Group Studios, devrait mettre en chantier Menino et les enfants du monde. La série reprendrait le concept du documentaire de Pascale Plisson, Sur le chemin de l’école et le personnage principal du chef-d’œuvre d’Alê Abreu, Le Garçon et le monde, qui servirait de passeur entre le spectateur et les protagonistes de la série. On découvrirait ainsi, dans des épisodes de 7 minutes, le quotidien d’enfants de 6 à 13 ans du monde entier et souvent venus de pays qu’on connait peu. La série entremêlerait vues réelles et animation, l’idée étant de mettre en avant la diversité culturelle et de voir le monde différemment. Citons enfin Barbara, l’un des rares projets en marionnettes proposés lors du Cartoon Forum, centrée sur la vie d’une petite fille pleine d’imagination dans les années 1970, et le plus adulte Amour, Passion et CX Diesel, parodie de soap opéra délirant et mixant rivalités fraternelles, stupidité, adultère, mort et héritage nul. Le Cœur a ses raisons version animée ? Peut-être, si le projet est mené à terme !
23 octobre 2016