REGARD 2023 – BLOGUE N°1
par Jérôme Michaud
Le moment est venu de reprendre la route du Parc des Laurentides et d’affronter les derniers soubresauts de l’hiver en se rendant à Chicoutimi pour s’éclater, rire et pleurer, se laisser porter par la crème du court métrage d’ici et d’ailleurs, entre deux soirées festives inoubliables. Après tout, on ne peut pas manquer ça : il n’y a qu’au Festival Regard qu’on peut se faire porter en body surfing par Rémy Girard. True story !
En plus, l’édition 2023, qui débute demain jusqu’au 26 mars, marquera enfin un retour à la normale, pour de bon on l’espère. On verra entre autres revenir au programme les 5 à 7 festifs dans le hall de la salle François-Brassard de Jonquière et les fameuses soirées cabaret (vendredi et samedi), qui auront lieu à l’Hôtel Le Montagnais plutôt qu’à l’Hôtel Chicoutimi, dont on s’ennuiera cependant de la localisation centrale. Du côté de la programmation, un deuxième programme s’ajoute à la compétition Tourner à tout prix, la formule carte blanche revient, offerte cette année au Festival International Présence autochtone, et ce sera également le retour d’un focus sur une cinématographie étrangère, qui mettra cette fois en lumière des courts du Kosovo.
L’animation a toujours eu sa place dans la programmation et ça se poursuit de belle façon. On ne voudra pas manquer la dernière œuvre du Portuguais João Gonzalez, Ice Merchants, sélectionné aux Oscars. Un magnifique court abordant le deuil familial et les enjeux environnementaux. Le film impressionne par son habileté à suggérer la douleur vécue par un père et son fils vivant dans une sorte de lieu hors du monde. La force de l’imaginaire poétique de l’univers est épatante et il en ressort des images marquantes qui s’accrochent à nous pour longtemps.
Classé également dans le bloc Compétition 8 – animation, le film expérimental de Guillaume Vallée, elles s’élèvent, ces forteresses éponges, est à l’image de ses œuvres précédentes : d’une magnificence rare et colorée. Vallée se réapproprie ici la bande-annonce de La naissance des pieuvres de Céline Sciamma et le résultat est sublime. Il y a quelque chose de très fluide dans l’écoulement des images qui savent être suggestives sans trop montrer. La trame musicale et les interventions sur la pellicule couvrent les images d’un voile de mystère, ce qui exacerbe la sensualité et la sensibilité des corps.
Il y a de plus en plus de techniques qui permettent de faire des films sans tourner d’images. Dans la veine de Martin pleure de Jonathan Vinel, on recommande chaudement Backflip de Nikita Diakur, un court métrage fait d’images captées dans un environnement numérique en 3D. Un avatar, alter ego du cinéaste, y apprend à faire des saltos arrière par apprentissage automatique (machine learning), à l’aide d’un algorithme d’IA qui tente sans cesse de rendre le prochain saut plus réussi que le précédent. Les maladresses de l’avatar sont multiples (mauvaises chutes fréquentes et accrochages répétés des décors, projetant le corps de l’avatar au sol, tordu) et l’image est toujours à moitié déconstruite, ce qui permet de voir la mécanique et le côté factice du paysage. Le film offre une représentation singulière d’un corps mécanisé dont les gaucheries répétées génèrent un profond malaise qui ne manquera pas de susciter également le rire.
Des images fixes générées par intelligence artificielle constituent la base visuelle de l’intriguant PLSTC (Laen Sanchez) qui laisse voir, dans une succession de plans relativement homogènes, une faune et une flore marines qui font littéralement corps avec des sacs de plastique. Cette imbrication saisissante de la matière permet de suggérer autrement la pollution des océans par le plastique. Il y a quelque chose d’assez perturbant dans cette représentation visuelle cauchemardesque qui marque l’imaginaire avec force. Ce très court film demeure relativement simple, mais il laisse déjà présager de belle façon tout le potentiel d’évocation de ce nouveau mode de représentation.
Cette année marque une nouvelle étape pour le festival dans sa mise en valeur de voix diverses. Il propose désormais une compétition parallèle nommée Short & Queer qui célèbre la pluralité des identités. On y retrouve d’ailleurs le dernier film de Gabrielle Demers, Nuit blonde, dont on apprécie beaucoup le travail. An Avocado Pit (Ary Zara) a également retenu notre attention. Dans un Lisbonne nocturne photographié avec soin, on suit la rencontre improbable d’une femme trans avec un homme qui ne cesse de s’esquiver malgré son désir évident de rapprochement. Il y a une magnifique justesse dans le jeu et les échanges entre les deux personnages qui font de ce court une véritable réussite.
Un des films phares provenant de l’international est Buurman Abdi du néerlandais Douwe Dijkstra. Primé à Locarno, ce brillant portrait raconte les difficultés et la violence vécues par Abdi, un réfugié somalien vivant aux Pays-Bas. En grande partie tourné sur fond vert, on est plus souvent dans l’envers du décor du studio de tournage que dans l’univers fictionnel qui raconte l’histoire d’Abdi. C’est par les échanges chaleureux entre ce dernier et le cinéaste, qui sont voisins immédiats et bons amis, qu’on comprend le mieux la grandeur d’âme de cet être résilient, créatif et rêveur qui a su conserver une joie de vivre contagieuse. Faire un film avec n’a jamais sonné aussi juste et, encore et toujours, faire rejouer des événements marquants de sa vie à un protagoniste procure une richesse qu’on atteint rarement autrement.
Pour finir, on ne saurait passer sous silence deux immenses coups de cœur du côté québécois. À la vie à l’amor, ledernier court métrage d’Émilie Mannering, est un véritable bijou d’inventivité. Magnifiquement photographiés, ses plans développent des compositions senties et évocatrices qui permettent au film d’établir une esthétique d’une rare force. Pour sa part, À mort le bikini ! de Justine Gauthier est absolument rafraîchissant avec sa touche punk agencée à une magnifique comédie principalement menée par des enfants.
Définitivement, le Festival Regard n’a rien perdu de sa fougue et il nous réserve une autre fin de semaine mémorable. Les paris sont d’ailleurs ouverts : qui seront les artistes mystères des deux cabarets de cette année?
Pour voir toute la programmation de la 27e édition de Regard et accéder à la billetterie, RDV sur le site web du festival !
21 mars 2023