REGARD 2023 – BLOGUE N°2
par Jérôme Michaud
Je ne suis jamais allé au Festival Regard sans qu’il neige dans le Parc des Laurentides et cette année n’a pas fait exception. C’est anecdotique, mais la possibilité que le Parc soit fermé fait partie de l’aventure. Des gens sont parfois restés pris en chemin, et ils ont fini par jouer des parties de quilles à Montmagny. True Story !
Jeudi soir, après un 5 à 7 festif dans le hall de la salle François-Brassard du Cégep de Jonquière, les programmes des compétitions 3 et 4 s’enchaînaient. On retient principalement deux œuvres qui s’opposent presque en tout point : Natureza Humana de Mónica Lima et Se dit d’un cerf qui quitte son bois de Salomé Crickx.
Natureza Humana, récipiendaire du Grand prix du festival, est un film d’une lenteur imposante auquel il faut laisser du temps. Alors qu’ils sont reclus chez eux et que le monde extérieur semble renfermer une menace mettant en cause la possibilité d’un futur heureux, deux amoureux hésitent à avoir un enfant. Dans cet espace-temps arrêté, leur sensibilité à leur environnement immédiat se redéploie. La caméra s’attarde avec attention aux animaux et à la flore pendant que de constants bruits de la nature amènent presque à croire que la vie humaine s’est éteinte autour de la demeure. Ce court métrage parvient à saisir avec une rare force l’inquiétude de parents qui veulent absolument laisser un monde vivable à l’enfant qu’ils aimeraient avoir.
Dans une comédie noire au propos franchement sérieux, Se dit d’un cerf qui quitte son bois parle aussi à sa manière du lien générationnel. Dans une sorte d’univers parallèle au nôtre, il est devenu normal depuis 167 ans d’assassiner les aînés, même ses parents, lorsqu’ils atteignent un certain âge. La proposition peut choquer par sa violence, qui n’est d’ailleurs pas absente de l’écran. Il reste qu’on est dans une fable spéculative, dans une tentative de se demander ce que serait le monde si on laissait exclusivement les personnes de moins de cinquante ans diriger le monde. Si le film n’avance pas que ce changement mènerait nécessairement à un monde idyllique, parce que les plus jeunes prennent aussi de mauvaises décisions, il appelle plus que jamais à remettre en question les traditions et l’immobilisme. On aura toujours besoin de réinventer le monde pour le réenchanter !
À la fin du dernier programme, pour notre grand bonheur, il y avait un film de Matthew Rankin, un cinéaste qui sait toujours surprendre par la vivacité de ses idées. Municipal Relaxation Module est une satire géniale de l’administration de la Ville de Winnipeg qui, de ce qu’on comprend, installe des bancs de parc à des endroits un peu absurdes, comme sur le bord d’une autoroute. À rattraper obligatoirement!
Pisser debout sans lever sa jupe d’Olivier Arteau, une pièce de théâtre hallucinante présentée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui au début mars, a fait grand bruit. Simple coïncidence sans doute, mais ce qui a fait événement pour nous vendredi provenait de deux des interprètes de la pièce.
D’abord, Laurence Gagné-Frégeau présentait son court documentaire Cherry, un touchant portrait de Marie-Lise Chouinard, une femme de théâtre aux multiples talents et à la bonne humeur contagieuse. On l’accompagne dans son intimité, ses jours étant malheureusement comptés, alors qu’elle est aux prises avec cancer du système lymphatique. Elle irradie complètement l’écran, par son charisme et son intégrité, mais aussi par ses réflexions qui démontrent une résilience incroyable face au triste destin qui l’attend. Un film magistral sur la nécessité de vivre à fond chacun des instants dont on dispose.
Ensuite, Jorie Pedneault (Narcisse) et son groupe étaient les invités du concert mystère du premier cabaret. L’ambiance était électrisante et la performance mémorable, d’autant plus que la salle était franchement bien remplie! Le tout a été suivi d’une joute de lutte surprise, alors que des rideaux cachant le ring ont été retirés à la dernière minute. La foule était survoltée, tout comme les lutteurs qui avaient l’air de prendre un malin plaisir à s’exécuter. Les cabarets font définitivement un retour en force !
À peine remis de la soirée, on reprenait le marathon de films samedi et nous avons été complètement soufflés par l’animation du Hongrois Balázs Turai. Amok est une œuvre hallucinée et hypnotique dans laquelle un homme au passé traumatique peine à être en couple sans détruire l’objet de son amour. Ses démons sont représentés par un farfadet maléfique qui s’en prend à lui, et la trame du récit est complètement inusitée, ce qui donne un résultat absolument rafraîchissant.
En soirée, pour les compétitions 9 et 10, il fallait jouer du coude pour entrer au Théâtre C du Cégep de Chicoutimi. La salle était pleine à craquer et plusieurs personnes n’ont malheureusement pas pu y accéder. Le film qui clôturait le dernier des dix programmes de la compétition officielle s’est avéré être une brillante déconstruction de la mince place laissée historiquement aux femmes dans les œuvres des artistes masculins. Dans Portrait of a Disappearing Woman, une employée de poissonnerie délaisse son comptoir de service et se met à errer jusque dans un musée où elle découvre une série d’œuvres dans lesquelles les femmes font l’objet de réification, de déification et de sexualisation. Le cinéaste Nelson Polfliet a pris la décision de donner à Sabine, sa protagoniste, très peu d’agentivité, ce qui ne cesse de déranger jusqu’à ce que l’on comprenne qu’il a souhaité redoubler ce qu’il voulait dénoncer. Cette approche est délicate, mais le film parvient à marquer son point de façon plus percutante ainsi.
Sur le site Internet du festival, on peut désormais avoir accès au palmarès complet de l’édition. Mais surtout, le festival se poursuit en ligne jusqu’au 9 avril. Tous les détails sur la billetterie du festival.
Image d’entête : Natureza Humana de Mónica Lima
27 mars 2023