RIDM 2017 – Blogue 7
par Ariel Esteban Cayer
Trois visions du travail, et trois approches formelles on-ne-peut-plus différentes se succèdent ici sous le signe commun du documentaire. Trois films qui démontrent toute la souplesse de la programmation des RIDM – un festival qui est également devenu, avec le temps et l’audace de son équipe, un rendez-vous immanquable du cinéma expérimental.
Preuve à l’appui : Common Carrier, pièce de résistance de la rétrospective James N. Kienitz Wilkins, organisée en collaboration avec l’initiative VISIONS du programmateur montréalais Benjamin R. Taylor. Document expérimental ayant pour thème le travail alimentaire d’artistes auto-proclamés en tous genres, on y rencontre un cinéaste, une propriétaire dont l’occupation artistique demeure volontairement nébuleuse, un aspirant scénariste, un « shaman urbain », un acteur jouant le rôle d’un téléphoniste, et ainsi de suite. S’y croisent ainsi des histoires de fantômes, une grève de travailleurs de Verizon, un DCP égaré par FedEx, ou encore un manque paralysant de wi-fi (mal qui semble bien résumer notre époque!). Chaque plan est multiple : c’est-à-dire transparent, aqueux, surimposé à un autre (pour ne pas parler d’exposition, tant tout ici relève du montage). La perspective du spectateur est donc décuplée, étourdissante; chaque moment semblant également vouloir tanguer vers la fiction. « All my life I hustled just to get that moolah » chante tantôt Young Greatness sur la bande son (volée au top 40 hip-hop de radio FM). Puis Fetty Wap, d’enchaîner avec un mantra tel « Married to the money I ain’t never letting go », ou Rihanna d’y aller de son désormais iconique et hypnotique « Work, work, work, work, work », qui sous-tend une scène où se surimpose le travail d’un père (réparant des planchers pour joindre les deux bouts) et celui d’un fils (encore innocent, assemblant un chemin de fer pour le plaisir d’y poser ses jouets). Il s’agit d’un projet plutôt inattendu venant de Wilkins, mais somme toute prévisible, d’autant qu’il devient impossible de ne pas le comparer au 88:88 d’Isiah Medina. Pour le moins, Wilkins remporte son pari technique, et dévoile une nouvelle forme à son arc; un film apte à capturer le contemporain dans tout son hyper-réalisme oppressant – où l’art et l’expression personnelle n’est qu’un faible écho de considérations financières sans fin, désormais sine qua non à la condition humaine.
Si l’univers de Wilkins rend le contemporain tel un rêve d’argent, Dream Box opte pour le cauchemar des petites bêtes. Le cinéaste Jeroeven van der Stock mène le spectateur au Tokushima Kanri Center, dans la forêt japonaise, où des hommes s’affairent à sortir des chats et chiens poisseux de camions ensanglantés. Certains iront directement au bloc opératoire, d’autres dans des cages de métal anonymes, où ils n’auront pour compagnie que l’écho de leurs propres cris. La détresse des animaux filmés est presque insoutenable : que regardons-nous ici? Assistons-nous à de la simple cruauté animale? À des tests secrets, effectués sur des animaux mal en points? Ou, au contraire, à un acte de clémence, aux rouages complexes d’un centre où chiens errants, malades et mourants seront libérés de leur souffrance? Dur à dire. Après un peu de recherche, la dernière hypothèse s’avère être la bonne, mais rien dans le film pour la confirmer : van de Stock s’amuse à filmer le tout comme un cauchemar lynchien – laissant le spectateur tirer ses propre conclusion d’un film merveilleusement observé – qui aurait cependant gagné à ne pas torturer son spectateur de la sorte, avec tant de souffrance et de violence décontextualisée au profit d’une simple esthétique de film d’horreur.
Finalement, et comparativement, Tongue Cutters de la norvégienne Solveig Melkeraaenm, ne peut que décevoir sur la forme, qui s’avère conventionnelle, télévisuelle. Ceci dit, on y découvre un regard intelligent et tendre sur le phénomène loufoque des jeunes « tongue cutters » : enfants issus de bonnes familles, âgés entre 5 et 10 ans, qui passent leurs vacances à couper des langues de morues dans le village de Myre, au nord de la Norvège. Plusieurs le font par tradition, comme le protagoniste Yvla venue d’Oslo (dont la mère coupa également des langues), tandis que d’autres le font pour le sport, devenus, au fil des saisons, de vrais pros, remplis d’ambition et d’assurance du haut de leurs 10 ans. Tobias, par exemple, se comporte comme un hilarant petit adulte – déjà en moyens de marchander, s’acheter et puis conduire un petit bateau lui-même…! Il n’en serait rien de plus, rien de moins, si Melkeraanm n’injectait pas dans son documentaire plusieurs observations pertinentes, bien que passagères, sur la nature du travail en Norvège : sur la place de la femme dans un milieu autrefois réservé aux hommes, par exemple, ou encore, sur la part de responsabilité qu’on accorde aux enfants dès un très jeune âge.
Dream Box sera présenté à nouveau le samedi 18 novembre à la Cinémathèque Québécoise, avec Occupation of Memory et Palenque.
Tongue Cutters sera présenté à nouveau le dimanche 19 novembre au Cinéma du Parc.
17 novembre 2017