RIDM 2018 – blogue n°3
par Robert Daudelin
Rencontres avec l’Histoire
L’Histoire, celle déjà consignée dans les manuels, comme celle qui est en marche, était très présente dans le programme des 21es RIDM. Parfois frontalement, parfois allusivement, toujours avec la volonté de nous interpeller.
O processo (The Trial)
Dans cette perspective, O processo de Maria Augusta Ramos est exemplaire de ce que peut encore – en ces temps de réseaux dits sociaux – un cinéma engagé qui plonge dans l’actualité la plus brûlante pour se solidariser avec un combat politique. Ayant décidé de suivre au jour le jour le procès en destitution de Dilma Rousseff, Ramos laisse au vestiaire la sacro-sainte objectivité, nous prévenant d’entrée de jeu de quel bord elle est. Sympathisante du Parti des travailleurs, la cinéaste s’installe aux côtés de ses militants (présidente du parti en tête) pour mener cet ultime combat contre les professionnels de la politique (et de la corruption) qui veulent la tête de celle qui est alors présidente de la République. La caméra de Ramos est partout – même admise dans une réunion d’autocritique des membres du Parti des travailleurs – et rien ne lui échappe : les sourires entendus, les rencontres douteuses, les coups fourrés. Ramos ne se fait pas d’illusions : elle suit ce procès bidon, sachant très bien que les dés sont pipés, mais convaincue aussi qu’il faut garder trace de cette mascarade « pour la suite du monde », serions-nous tentés de dire. Annonciateur du virage d’extrême droite actuel au Brésil, la destitution de Dilma Rousseff filmée par Maria Augusta Ramos est une leçon politique magistrale; c’est aussi une œuvre majeure du cinéma documentaire actuel.
Waldheims Walzer (The Waldheim Waltz)
Kurt Waldheim est mort depuis plus de dix ans, revenir sur sa campagne de 1986 pour la présidence de l’Autriche, c’est donc faire œuvre d’historien. Et pourtant, au vu de la situation politique actuelle de l’Autriche, le film de Ruth Beckermann est d’une actualité et d’une pertinence évidentes. L’élection de Waldheim, les débats qu’elle a provoqués et encore plus les discours inquiétants qui l’ont accompagnée, est déjà annonciatrice de l’Autriche actuelle. En 1986, Beckermann, jeune militante opposée à la candidature de Waldheim, filme ses camarades avec un appareil vidéo fraîchement acquis : c’est à partir de ces images tremblantes qu’elle nous propose de revivre ces mois de 1986 qui pèsent si lourdement dans l’histoire de son pays. Le plaidoyer est implacable, s’appuyant sur une multitude de documents (images officielles, reportages de propagande, émissions de télévision) toujours présentés avec une grande rigueur et dans une stricte chronologie, le film est une véritable leçon politique qui fait du passé (pas si lointain, mais déjà daté) un outil précieux pour comprendre le monde actuel, avec notamment sa célébration du mensonge. (Le film est repris dimanche, à 20h30, au Cinéma du Parc)
L’Histoire est évidemment bien présente dans Samouni Road de Stefano Savona (le conflit israélo-palestinien) comme dans Les Âmes mortes de Wang Bing (la Révolution culturelle chinoise), dans Bisbee’ 17 de Robert Greene (les luttes ouvrières aux États-Unis) et dans Central Airport THF de Karim Aïnouz (l’accueil des migrants en Allemagne), mais elle est aussi présente, moins explicitement, presque insidieusement, dans plusieurs autres films de ces 21es RIDM. Ainsi en est-il, d’un film qui n’aurait pas déparé le programme du Festival du film sur l’art : Segunda vez de la cinéaste espagnole Dora Garcia se présente comme l’évocation de l’activité multiple d’Oscar Masotta, artiste argentin célèbre pour ses happenings. Recréant certains des événements dont Masotta avait le secret, Garcia y insère subrepticement des références aux années de la dictature et ce faisant installe au cœur de ce film éclaté – expérimental, diront certains – un réel malaise, un sentiment que ces jeux avec leur vernis intellectuel, ne sont pas si innocents que ça et que la lumière qui écrase les vieux acteurs est vraiment trop violente et que l’hélicoptère rouge évoque de bien mauvais souvenirs. (Le film est repris dimanche, à 19h, à la Cinémathèque québécoise)
Un moment déterminant de l’histoire du XXe siècle est également au centre d’un autre film inclassable, le très beau Extinçao (Extinction) de la portugaise Salomé Lamas. À travers le portrait d’un jeune Moldave qui se veut citoyen de la Transnistrie, c’est la fin de l’empire soviétique qui est évoqué, souvent avec humour, toujours avec une pertinence remarquable. Film d’une grande beauté plastique – ces noirs et blancs sont de véritables tableaux – dans lequel il serait inutile de vouloir départager documentaire et fiction, Extinçao est une réflexion sur l’histoire hors du commun. On pourrait en dire presque autant de Gulyabani du turc Gurcan Keltek qui, nous livrant le journal d’une clairvoyante, n’en réussit pas moins à nous parler de la diaspora arménienne et d’une certaine Turquie postrévolutionnaire. Pure poème visuel le film s’impose avec une force mystérieuse difficile à définir, mais bien réelle. (Le film est repris samedi, à 19h15, à la Cinémathèque). Nous aurions bien aimé en dire autant de Diseappearance of Goya du libanais Toni Geitani qui évoque la guerre des années 1980 au pays druze, un chapitre essentiel de l’histoire douloureuse du Liban. Malheureusement, dans sa volonté de distanciation, le film se perd dans une esthétisation de son sujet qui nous le rend totalement opaque : le parti-pris (bien légitime) du cinéaste d’éviter une narration trop lisse s’est malheureusement perdu en route… (Le film est repris samedi, à 19h15, à la Cinémathèque, au même programme que Gulyabani).
15 novembre 2018