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Festivals

RIDM 2019 – Blogue no. 2

par Samy Benammar

Il peut y avoir dans l’exploration de la programmation des RIDM, un jeu sadomasochiste qui se met en place : poursuite d’un équilibre précaire là où le documentaire nous invite à poser un regard sur la dureté de la réalité contemporaine mais aussi à recevoir quelques élans de beauté dans les visions offertes par les différents cinéastes. Entretenir l’anxiété ambiante au sein d’un mois de Novembre voyant apparaitre les premières neiges et souhaiter rencontrer dans son périple cinématographique, des instants où, à la misère de ce qui est montré, survit la chaleur de la parole qui ose dire.

C’est cette chaleur qui semble habiter la voix de Mother I am suffocating; this is my last film about you. Dans une pièce de tragédie rejouant une tentation du Christ post-moderne, le réalisateur Lemohang Jeremiah Mosese emploie la figure de la mère pour adresser une missive sensible au devenir du Lesotho, pays de son enfance. Car cette Mother n’existe pas, à travers son souvenir, c’est le présent qui s’incarne, celui d’un pays marqué par les coups d’états et une forme de précarité tremblante, celle de regards qui s’interrogent sur la caméra 16mm qui suit cette femme portant une croix au milieu du marché. Dans un travail esthétique rigoureux, peut-être trop, le film offre plusieurs scènes somptueuses : on pensera par exemple à cette lente avancée du personnage christique vers la caméra se concluant par une contre-plongée vertigineuse où la mélancolie de cette martyre devient discours éloquent sur la réalité. Pour appuyer cette idée, la voix off poursuit la lecture de son texte qui explicite beaucoup des intentions sous-jacentes aux images. Parfois trop envahissant, ce commentaire ne trouve pas l’équilibre entre le dit et le non-dit et le discours prend trop de place dans un film qui va un peu trop loin dans son idée de suffocation. Difficile de reprocher à Mother I Am Suffocating son extrême esthétisation tant celle-ci relève d’un parti pris souhaitant aligner la surenchère de jeux de lumières et autres angles de caméras artificiels au discours avec une lecture du monde imprégnée de culture chrétienne faisant du Lesotho un espace mythologiquement absurde. Cependant, force est de constater que cette exagération constante est étouffante, souvent maladroite, surfaite comme dans sa séquence finale, et que si des moments de beauté sincères parviennent à échapper à un film trop réfléchi, le sublime permanent reste écrasant.

À l’inverse, In the Name of Scheherazade or the First Beergarden in Tehran choisit de réfléchir par la trivialité, s’ouvrant sur une séquence où la cinéaste Narges Kalhor inhale une concoction de plantes, cachée sous sa serviette, prise de panique en raison d’un film – celui que nous avons alors sous les yeux – qui ne parvient pas à prendre forme. Cette réflexivité devient le fil conducteur de ce faux-doc au sein duquel la réalisatrice met en scène son incapacité à construire une réflexion autour des enjeux de l’immigration iranienne dont elle est issue. Les commentaires d’un producteur ne cessent de remettre en question ses choix pour la pousser à produire une œuvre explicite et linéaire alors que c’est le désordre qui caractérise le mieux sa pensée. Des scènes d’animation reprenent sarcastiquement l’histoire des 1001 Nuits pour construire une parabole intentionnellement éculée tandis que certains personnages apparaissent et disparaissent au gré de la reconstruction constante du film. Ces éléments octroie au film un certain charme mais celui-ci s’accompagne d’une forme de malaise lorsque les ficelles commencent à apparaître et que l’on parvient à distinguer derrière la volonté de dépeindre la maladresse et l’impossibilité de dire, une esthétique réfléchie, un peu cynique et suffisante qui court-circuitent certains thèmes forts pour en rire avec ce que cet humour peut apporter de positifs mais également tout ce qu’il peut avoir de gênant dans un film abordant ces thématiques.

Une autre forme de cynisme s’incarne dans le dernier film de Simon Beaulieu. Le fond de l’air, c’est cette radio qui joue en arrière-plan, que l’on essaye de débrancher et qui continue pourtant à diffuser cette trame sonore alarmante, celle qui annonce inlassablement la catastrophe climatique inévitable. La question qui en émerge est évidente et plus que jamais d’actualité : « que peut-on faire ? ». Elle nous hante, collectivement et en voyant le monde par l’entremise de go pro montées sur ses personnages, Simon Beaulieu nous invite à partager leurs quotidiens qui se poursuivent malgré les problèmes car en se levant le matin, il faut aller travailler, qu’importe l’avancée de la fonte des glaces de l’antarctique. Cette idée centrale peut sembler cynique mais parvient à produire un signal d’alarme qui n’est ni culpabilisateur ni rempli d’un espoir idyllique. Le fond de l’air agit plutôt comme un constat et si le film propose plusieurs séquences stroboscopiques qui permettent de transmettre l’anxiété ambiante du monde, le propos reste relativement calme, distant, état des lieux qui peut laisser le spectateur terrifié. Car ce film est terrible, la réalité qu’il nous montre est d’une justesse effrayante puisqu’elle s’aligne immédiatement avec notre propre réveil, ce samedi matin lisant la programmation des RIDM alors que Venise est encore sous les eaux d’une marée haute aggravée par le réchauffement climatique. Au-delà de cette justesse, il faudrait tout de même signaler que le film de Simon Beaulieu use de procédés techniques un peu dépassés, qu’il s’agisse des go pros nous ramenant à des formes expérimentales qui étaient nouvelles il y a dix ans ou les montages d’archives qui sont parfois irréfléchis, multipliant les amalgames et proposant une collection d’images pleines d’imprécisions. Ce documentaire de Simon Beaulieu est une expérience troublante et nécessaire, et ce malgré une dimension expérimentale un peu exagérée qui reste, bien qu’éculée, efficace dans le contexte du film.

Séances de rattrapage :

In the Name of Scheherazade or the First Beergarden in Tehran : Dimache 24 novembre4 20:30 Cinéma du Parc – salle 2.

Le Fond de l’air : Mardi 19 novembre 20:30 Cinéma du Parc – salle 2.


17 novembre 2019