RIDM 2020 – Blogue n°2
par Jérôme Michaud
Nouveau festival en ligne, nouvelle façon de procéder. On ne pourra pas dire que les festivals de cinéma du Québec n’auront pas su innover lors de leur passage à une édition en ligne. Les RIDM ont opté pour un découpage en huit grands axes thématiques sous lesquels tous les films ont été répartis. En première semaine, le libellé « Explorer la nature » a vite retenu notre attention. Sans doute que cet intérêt irréfléchi n’est pas étranger à une petite montée d’angoisse écologique causée par les changements de température des dernières semaines. La section regroupe entre autres une forte sélection d’œuvres plus aquatiques, entre glace et pluie, entre réflexion environnementale et expérience esthétique.
Le moyen métrage À perte de vue de Marie-Chloé Racine et Sarah Salem est un documentaire d’une belle sensibilité qui dénonce les changements climatiques en laissant place aux jeunes, démarche qui fait écho aux prises de parole de Greta Thunberg. L’œuvre dresse trois portraits intimistes d’adolescents madelinots qui ont, malgré leur jeune âge, une perception lucide sur les enjeux environnementaux spécifiques à leur archipel, l’érosion des berges en étant la problématique principale. Alors qu’on les observe dans leur routine quotidienne qui est habilement entrecoupée par les paysages côtiers des Îles de la Madeleine, entre magnificence du panorama et chaos des tempêtes venteuses, chacun d’eux s’exprime dans une lettre personnelle lue en voix off. Racine et Salem, par l’acuité du regard posé, toujours empathique, parviennent à communiquer toute la grandeur de ce qui se joue pour une petite communauté si isolée du reste de la province. Elles dégagent avec délicatesse la part de tragique qui pèse sur leur destin. À perte de vue s’inscrit dans la continuité des films qui traitent des enjeux côtiers du Québec, tout comme le faisait avec la même acuité Port d’attache de Laurence Lévesque (RIDM 2019), film lauréat du meilleur court ou moyen métrage national l’an dernier.
Des berges côtières, on se transporte sur les eaux tumultueuses du Icemeltland Park de la cinéaste italienne Liliana Colombo. Construit comme une visite guidée en format audiovisuel, le film enchaine des vidéos amateurs d’icebergs tournées par des touristes. Dès la première séquence, on entend monter les clameurs de personnes qui s’exclament de bonheur, ébahies par la scène, alors que des parcelles de glace se détachent. Inutile de dire qu’on ressent immédiatement un immense malaise que Colombo mettra ensuite tout en œuvre pour accentuer. Et pour cause : comment peut-on légitimement s’exciter autant devant la manifestation la plus ostentatoire du réchauffement climatique? Et surtout : n’y a-t-il pas une limite au tourisme de mauvais goût, question que posait aussi frontalement Loznitsa dans Austerlitz (RIDM 2016)? L’addition d’un volet ludique excessivement décalé (publicités, cartes interactives avec musique trop joyeuse, fausse offre d’embauche, etc.) accentue à merveille tout le vertige du spectateur qui est en même temps ébranlé par des moments plus alarmants, notamment lorsque l’image est hachurée afin de superposer fonte de glacier et tsunami. Cette mixité de ton, sans toujours être parfaitement maitrisée, fait d’Icemeltland Park un étrange objet filmique dont on apprécie la saveur douce-amère.
On repasse sur des eaux plus familières avec Un fleuve l’hiver de Félix Lamarche, le plus marin des cinéastes québécois! Il parvient ici, avec le doigté à la réalisation qu’on lui connaît, à donner au Fleuve Saint-Laurent une grande part de mystère, alors qu’il interroge la limite des connaissances qu’on en a dans sa version hivernale. Accompagné de commentaires scientifiques en voix off, qui sont à la fois sentis et éclairés, on retiendra avant tout la magnificence absolue de la photographie, plus particulièrement celle des images prises d’un bateau en marche ou celle des plans aériens révélant la beauté pour le moins transcendante de la fragmentation des glaces. Sans bien sûr oublier que si ces images parviennent à autant émouvoir et transporter, c’est qu’elles sont flanquées d’une composition sonore éthérée qui est d’une force suspensive fort à propos, gracieuseté d’Antoine Létourneau-Berger. Un fleuve l’hiver magnifie le Saint-Laurent et ses eaux glacées, en fait une cathédrale impénétrable via un travail esthétique sublime qui ne délaisse pour autant pas une part réflexive, équilibre appréciable présente dans les œuvres de Lamarche.
Enfin, on s’aventure littéralement sous les eaux avec une œuvre plus immersive : Cenote de la cinéaste nippone Kaori Oda (image d’en-tête). Cet essai documentaire embarque son spectateur dans une expérience sensorielle qui lui fait découvrir les cénotes, sorte de puits naturels souvent peu praticables. La grande richesse de l’œuvre d’Oda est d’utiliser une pluralité de voies afin de teinter les cénotes d’une aura mystique. On y raconte des anecdotes contemporaines inquiétantes, mais on y rappelle aussi et avant tout la conception que les Mayas en ont, en tant qu’endroit mythique de rituel. À la frontière de l’air et l’eau, la caméra scrute attentivement les multiples textures colorées, tout en inondant l’espace auditif d’une ambiance subaquatique franchement réussie. Oda travaille sur de menus détails qui donnent à penser que la caméra placée sous les eaux est parfois l’incarnation d’un baigneur ou de Chac, le dieu maya de la pluie, ou d’un mort qui hante les lieux, et peut-être tout ça à la fois, simultanément. Cenote est une magnifique plongée méditative et poétique qui, même s’il ne se passe pas en mer, travaille à la réinvention du documentaire marin.
Les RIDM se déroulent cette année en ligne, partout au Québec, du 12 novembre au 2 décembre. Découvrez toute la programmation ici.
14 novembre 2020