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Festivals

RIDM 2020 – Blogue n°3

par Robert Daudelin

Le documentaire québécois actuel est multiple; c’est même l’une de ses qualités les plus précieuses. Trois des films regroupés sous le thème « Devenir soi-même » pour cette seconde semaine des RIDM sont exemplaires de cette ouverture.

Passage

Chronique d’un été qui s’achève, le film de Sarah Baril Gaudet a le rythme paresseux d’un conte : « Il était une fois une petite ville du Témiscamingue où la vie s’étirait sans grandes péripéties entre la station-service dépanneur Larochelle, la Gaufrière et le lac où les jeunes se retrouvaient. Dans cette ville il y avait Gabrielle qui ne voulait pas de « chum » et qui devait décider de ce qu’elle allait faire comme études, et Yoan qui, depuis son « coming out », rêvait d’une ville plus grande (Québec? Montréal?) où il pourrait être lui-même, loin des sarcasmes de son grand-père. » Passage c’est aussi la fin de l’enfance qui s’étire : Gabrielle et Yoan sont prêts pour la vie, avec toutes les craintes qu’accompagnent ce bond nécessaire. La caméra sensible de la cinéaste les accompagne discrètement, sans jamais rien brusquer, attentive à leurs hésitations et aux lieux qu’ils s’apprêtent à laisser derrière eux. Film fragile qui laisse aux choses prendre leur poids et leur place, Passage arrive à filmer l’écoulement du temps en célébrant les moments volés au quotidien. Cinéma du plan (fixe au besoin), Passage multiplie les ambiances sonores qui guident notre regard, attend la nuit qui tombe sur la ville, prend à témoin la nature qui n’est jamais très loin. En d’autres mots, c’est la vie mode d’emploi.

Prière pour une mitaine perdue

Après l’enchantement de La rivière cachée (2017) on pouvait craindre pour la suite… Comment Jean-François Lesage pourrait-il retrouver ce ton, cette poésie qui restait présente en nous plusieurs jours après la découverte de ce film unique. La réponse ne s’est pas faite attendre : si Prière pour une mitaine perdue n’a rien d’une suite au film précédent, il en est le prolongement magnifique, un geste de cinéma d’une justesse rare qui sait capter l’émotion là où elle se cache, dans la lumière du quotidien et dans les paroles innocentes. Utilisant le bureau des objets trouvés de la STM comme bureau de casting, Lesage propose à ceux et celles qui y défilent de se confier à sa caméra, une caméra qui écoute, prête à recevoir les confidences, capable d’empathie. Ainsi, quoi de plus banal que d’oublier sa tuque dans le métro durant l’hiver montréalais? Pas pour Suzanne : sa tuque, elle l’avait tricotée avec amour et elle lui allait bien; elle faisait intimement partie de sa vie et, parlant de sa tuque, c’est dans son intimité qu’elle nous fait pénétrer. Cette quête de confidences se poursuit avec Mary au si bel accent, avec Blaise qui a perdu sa mère dans son village africain et avec Joe qui a perdu son père en Haïti. Tous sont émouvants, ayant accepté l’invitation du cinéaste, ils se livrent avec une générosité magnifique. Pendant ce temps, c’est la tempête rue Rachel; le vent souffle fort et la nuit est froide – froide, mais belle dans un noir et blanc légèrement stylisé qui a la même douceur que les propos des personnages. Film sur la perte, d’un objet, d’un pays, d’un être cher, Prière pour une mitaine perdue est aussi un film sur la fraternité, sur le désir de partager. Documentaire de création, Jean-François Lesage eut-il été écrivain, on aurait taxé son nouvel opus de poème en prose; son nouveau film est une œuvre ouverte qui accueille le spectateur pour le transporter dans un ailleurs chaleureux que définit bien la belle chanson de Félix Leclerc (« L’écharpe ») si pertinemment incluse dans un des moments forts du film.

Wintopia

En novembre 2013, en plein RIDM, Peter Wintonick quittait ce monde qu’il avait intimement fréquenté, nous laissant en héritage ses films : Manufacturing Consent : Noam Chomsky and the Media (1992), Cinéma vérité, Defining the Moment (1999) et plusieurs autres. À sa fille Mira Burt-Wintonick, Peter a laissé un autre legs : quelque 300 mini cassettes VHS, tous formats confondus, correspondant à ses nombreux voyages. Vaguement identifiées d’une écriture illisible, ces cassettes avaient fréquemment un lien avec un grand projet que le cinéaste avait traîné avec lui tout au long de sa vie, un projet auquel il aurait souhaité associer sa fille. Le film se serait appelé Utopia, du nom d’un lieu qui n’existe pas, mais où l’on rêve de poser ses pénates, loin de tout, même de ceux qu’on aime. C’est ce projet impossible que Mira Burt-Wintonick a décidé d’évoquer dans un astucieux collage réalisé à partir de l’ultime cadeau de son père. On y trouve les moulins à vent de Don Quichotte, l’île de Saint Brendan       et la marée qui recouvre une route ne menant nulle part. Ce voyage, souvent de l’ordre de l’intimité, c’est celui d’une fille vers le père qu’elle n’a pas suffisamment connu. C’est aussi le portrait privé (les films de famille) et public (les témoignages des cinéastes avec lesquels il a collaboré, Nettie Wild notamment) d’un homme à l’activité débordante qui voulait toute la planète comme atelier, un homme qui nous manque terriblement et que sa fille a si bien su évoquer dans toute sa complexité.


20 novembre 2020