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Festivals

RIDM 2020 – Blogue n°6

par Robert Daudelin

Sous un même soleil

Après la Sibérie de Sur la lune de nickel (2017), François Jacob nous propose de le suivre au Haut-Karabagh, ou plutôt de nous entraîner tantôt en Arménie, tantôt en Azerbaidzan où, malgré qu’on y partage un même soleil, la haine de l’autre n’en finit plus de durer. Rattrapé par l’actualité, le film de François Jacob est un document précieux pour essayer de comprendre, de décortiquer un affrontement tragique qui semble ne jamais devoir finir. En vrai documentariste, le cinéaste a fait précéder son tournage d’un long travail d’enquête sur le terrain, puis d’un séjour durant lequel il s’impose des allers et retours entre l’Arménie et l’Azerbaidzan à l’occasion desquels il recueille les témoignages d’anciens combattants, de militants et de journalistes. Le Caucase est aussi présent comme personnage à travers ses paysages, ses montagnes et ses villes colorées. Mais toujours, de quel côté de la frontière qu’on soit, c’est le « soit eux, soit nous » qui surdétermine tout au nom d’une sorte de nationalisme ethnique qui autorise bien peu d’espoir. Le Haut-Karabagh, dit l’un des Arméniens du lieu, « c’est Jérusalem », affirmation rendant encore plus douloureux les événements des derniers jours qui confèrent à ce film courageux un poids et une pertinence peu commune.

Le fils de l’épicière, le Maire, le Village et le Monde

La découverte d’un nouveau film de Claire Simon est toujours un moment particulier. Qu’elle emmène sa caméra Gare du Nord, au Bois de Vincennes ou dans les corridors de la Femis, la cinéaste réussit toujours à nous entraîner au-delà des apparences, là où notre regard perd un moment ses assises. C’est d’ailleurs chez ceux qui veulent « changer le regard » – ce sont les mots de Jean-Marie Barbe – qu’elle nous invite cette fois, dans le village de Lussas, en Ardèche, où une équipe de passionnés s’est mis en tête de construire un Village documentaire. Nés dans la mouvance des États généraux du documentaire qui se réunissent à Lussas depuis les années 1970, ce projet fantasque a un prolongement immédiat dans Tënk, une plateforme dédiée au documentaire d’auteur qui a désormais son antenne au Québec. C’est donc en terrain de connaissance que débarque Claire Simon, chez des collègues, qui sont aussi des amis, voire des complices. Pendant que le maire émonde ses arbres fruitiers, le chantier se met en branle, sans savoir si l’argent, public comme privé, sera au rendez-vous. La ministre de la Culture vient finalement poser la première pierre et prendre un verre de vin bio avec les élus locaux. Les réunions, souvent difficiles – filmées un peu à la Wiseman – se poursuivent; il y a des affrontements et des défections; la grêle menace les vignes et les poiriers; Jean-Marie, cheville ouvrière du projet, a des ennuis de santé; et il n’y a pas de chausson aux pommes ce jour-là à la boulangerie artisanale. Claire Simon fait elle-même la caméra et rien ne lui échappe pour notre plus grand bonheur. Tout ça, avec le sourire, parfois même le fou rire, sur un air de clarinette.  

La maison bleue

Grâce à Élizabeth Perceval et Nicolas Klotz et à leur bouleversant L’héroïque lande, la frontière brûle (2017), nous avions le sentiment de connaître un peu la Jungle de Calais. Le cinéaste sénégalo-mauritanien Hamedine Kane, en nous permettant de faire connaissance avec son ami Alpha Diagne, nous fait entrer dans l’intimité de l’un de ses habitants les plus colorés. La maison-boutique au toit de paille qu’Alpha a construite, si elle rappelle son village de Mauritanie, s’apparente aussi à ce que l’art actuel dénomme une « installation », d’autant plus que la maison et son toit original se prolonge en un jardin où fleurissent dessins et collages, arbres magiques et sculptures en tous genres : « ma maison est une œuvre d’art », confie-t-il sans prétention. Alpha n’a de cesse de bricoler, même s’il sait qu’on va bientôt démonter sa demeure et lui proposer un confortable container. En dix ans de périple, de Syrie en Turquie, de Grèce en Belgique, Alpha a tout expérimenté : la course aux papiers, les séjours en prison, l’exploitation jusqu’à la porte fermée de ses coreligionnaires déjà installés en France. S’il aime se rappeler la douceur de la rivière Ngalanka et rêver des petites filles de son village qui sont maintenant des femmes, il pense surtout à l’Angleterre qui fait face à la Jungle, plus accueillante que la France où il ne désespère pourtant pas de s’installer, autrement que dans un container. C’est le caractère tragique de la migration qui se révèle à nous, petite touche après petite touche, dans ce film qui n’a de prétention que d’affirmer l’importance de la solidarité.


27 novembre 2020