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Festivals

RIDM 2021 – BLOGUE N°1

par Robert Daudelin

La rétrospective Vitaly Mansky s’annonce d’ores et déjà comme l’un des temps forts de ces 24es Rencontres internationales du documentaire de Montréal. Une occasion unique de découvrir (à travers 7 titres) le travail exceptionnel, par son audace, autant que par sa maîtrise, d’un cinéaste au regard pénétrant. Le programme de la rétrospective inclut deux portraits inoubliables d’hommes politiques de premier plan de l’histoire moderne de la Russie; ce sont sur ces portraits que nous nous arrêterons aujourd’hui.

Putins’s Witnesses

Découvert lors d’une projection mensuelle des RIDM en 2019, ce film inqualifiable est traversé par une question lourde : « Le témoin peut-il devenir un complice ? ». C’est cette question que se pose Vitaly Mansky en revoyant, en 2018, les images de la première campagne à la présidence de Vladimir Poutine. Or ces images, c’est lui-même (le « témoin ») qui les avait filmées à la demande de Poutine ; elles devaient servir d’outil de promotion du candidat que Boris Elstine avait imposé au peuple russe comme cadeau du Nouvel An, le 31 décembre 1999. Il va sans dire que, vu la suite des événements, ces images ont pris un poids (et un sens) que le jeune cinéaste – Mansky avait alors 36 ans – ne pouvait prévoir. Or l’histoire a bougé plus vite que prévu : Poutine est rapidement devenu le nouveau tsar de la Grande Russie et la plupart des collaborateurs qui fêtent sa première victoire dans le film sont maintenant dans l’opposition, ont disparu ou ont été assassinés. Reste plus ou moins en selle le très servile Dmitri Medvedev. Très conscient du sens caché de ses images, le cinéaste les reprend pour leur donner tout leur sens, mettant même sa famille en scène pour souligner la place que Poutine occupe désormais dans la vie quotidienne de tous les Russes. Une grande leçon d’histoire et des documents inestimables pour réfléchir à la mise en place d’un pouvoir. Un avertissement aussi : ne faites pas de votre caméra la complice d’un plus malin que vous qui se prépare une carrière de dictateur…

Gorbachev. Heaven

En 2018 déjà, Werner Herzog proposait un Rendez-vous avec Gorbatchev qui, s’il abordait au passage des questions politiques, ne dépassait pas le portrait impressionniste. Avec Vitaly Mansky, il en va tout autrement. Même si Gorbatchev a rapidement vieilli – il a 89 ans au moment du tournage et la maladie gagne du terrain – c’est un interlocuteur redoutable qui, s’il est ouvert à la discussion, quel que soit le sujet, est suffisamment malin pour donner des réponses vagues, voire ambigües, aux questions de Mansky.

Filmés dans la résidence de retraite de l’homme politique, dans l’immédiate banlieue de Moscou, cette longue conversation qui ne craint pas les apartés, construit progressivement un impressionnant portrait d’un des personnages majeurs de l’histoire, non seulement de la Russie, mais du XXe siècle.  À l’évidence Gorbachev fait confiance au cinéaste, encourage sa franchise, le laisse débarquer dans son refuge, dans sa vie aussi. Les moments exceptionnels de cette rencontre sont nombreux; au-delà du contenu des propos échangés, leur force tient à la qualité du tournage qui fait un usage inspiré des lieux et des objets (la salle à manger et les plats du jour, sous le regard télévisé de Poutine en Big Brother), en évitant les têtes parlantes et les zooms décoratifs. On apprend beaucoup de choses en regardant Gortbachev. Heaven; on apprend surtout à relativiser nos jugements, à admettre la complexité de l’histoire et de ceux qui y interviennent.

Little Palestine, Diary of a Siege de Abdallah Al-Khatib

Le camp de Yarmouk dans la banlieue de Damas a déjà hébergé 100,000 réfugiés palestiniens. Généreusement accueillis par la Syrie en 1948, comme le rappelle une vieille femme filmée par Al-Khatib, les habitants du camp y ont été systématiquement bombardés par l’aviation de Bashar al-Assad et ses alliés russes (encore Poutine !). Fils d’une soignante active sur le terrain, le cinéaste emboîte le pas à sa mère pour filmer le quotidien du camp dévasté ; sa caméra comme seule arme lui permet de se solidariser avec la lutte sans fin de son peuple et de dénoncer le sort qu’on lui réserve. Journal filmé, Little Palestine est aussi une ode à la résistance palestinienne. Dans cet enfer qu’est devenu le camp, on trouve encore le temps de chanter autour d’un piano posé sur les ruines et de faire des blagues sur la vie d’éternels réfugiés (« On a tous été conçus dans une tente ! »). La beauté même du filmage, et ce dès la première image qui donne le ton à tout le film, est aussi un geste de résistance, comme l’est celui de la fillette cherchant de la salade dans les herbes sauvages d’un champ déserté et qui est magnifiquement indifférente  au bruit des bombes qui tombent à quelques mètres. Un journal filmé, mais beaucoup plus : un chant d’amour bouleversant.


11 novembre 2021