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Festivals

Sommets 2017 – blogue 1

par Pierre Chemartin

Les Sommets du cinéma d’animation, c’est presque déjà fini ! La seizième édition des Sommets, c’est d’abord trois compétitions distinctes, avec un volet international, un volet étudiant et un volet films très courts. C’est aussi un panorama des meilleurs films canadiens et québécois, regroupant à la fois des films de professionnels et d’étudiants, une rétro dédiée à l’œuvre de Joël Vaudreuil, auteur de films tout à fait étonnants, cocasses et poétiques (ainsi, notamment, du Courant faible de la rivière, primé aux Sommets en 2013) et un florilège des meilleurs films du festival d’Annecy (avec deux films ébouriffants, Vilaine fille d’Ayce Kartal et Mon fardeau de Niki Lindroth Von Bahr). C’est également deux classes de maitre —malheureusement déjà passées—, celle de Don Hahn, surtout connu pour Le Roi Lion et les deux moutures disneyennes de La Belle et la bête, et celle du manitobain Matthew Rankin, dont les Sommets présentent, vendredi et samedi, dans la section Focus Canada, une œuvre extraordinaire, Tesla : lumière mondiale. C’est enfin toute une série de projections spéciales, dont une première québécoise, l’hilarant Grand méchant renard de Patrick Imbert et Benjamin Renner, un programme jeunesse bourré de petites perles, ainsi qu’une version restaurée de L’Année tchèque, adaptation d’un livre de Mikoláš Aleš et premier long métrage de Jirí Trnka, regroupant de très beaux contes traditionnels. Que demander de plus ? Des ateliers et des expos, bien entendu !

Quelques mots du premier volet de la compétition internationale. Cette première série rassemble dix films. Chose inhabituelle, ce programme repose sur des films très différents les uns les autres. Bien qu’ils se ressemblent peu, certaines tendances se dégagent. Commençons avec deux cauchemars kafkaïens, Five Thirty Five (Alex Dunford) et Sand (Arjan Brentjes). Visuellement, les deux auteurs adoptent un style impersonnel et une facture léchée. Les personnages ne sont que de simples fantoches, broyés par leur environnement. Le film de Dunford est une sorte de croisement entre tableau de Magritte et une uchronie orwellienne. On pense aussi à des films comme Scarabus (Gérald Frydman, 1971) ou L’Âge de chaise (Jean-Thomas Bédard, 1978). Dans le film de Brentjes, le personnage principal subit toutes sortes d’injonctions et autres impératifs sanitaires. Perdant tout libre arbitre, notre héros est condamné à revivre le même cauchemar, comme dans Five Thirty Five.

En cherchant bien, on remarque que ce motif mêlant aliénation et condamnation éternelle n’est pas tout à fait absent des autres films de la sélection. Il est également présent, quoique de manière indirecte, dans Toutes les poupées ne pleurent pas (Frédérick Tremblay) et Charles et les grenouilles (Dominic Etienne Simard). De par leur facture, leur inventivité formelle et poétique, ces deux films se détachent complètement du reste de la sélection. Toutes les poupées est une œuvre touchante et subtile, Pygmalion-esque, sur l’amour et la création. L’œuvre est d’autant plus forte qu’elle se présente comme une mise en abime, avec un récit en forme « gigogne » : la création dans la création dans la création. Charles prend des chemins plus elliptiques et détournés. Coincé auprès d’une mère percluse et impotente, Charles est incapable d’échapper à sa condition. Il trouve refuge dans le rêve —métaphore superbe montrant Charles plonger dans un lac, l’un des plus beaux moments de ce premier volet de la compétition—et finit par trouver, quoique par des moyens détournés, la voie de la félicité.

La séance présente également deux belles fables, La Mort, Père & Fils de Denis Walgenwitz et Vincent Paronnaud (alias Winshluss, l’auteur de bandes dessinées) et Nachsaison de Daniela Leinter. Drôles et émouvants, les deux films pourraient passer, aux yeux de certains, pour mièvres et doucereux. Question de goût, sans doute. Les deux œuvres abordent des questions éternelles, sans fars et sans détours, avec une certaine drôlerie. Dans Nachsaison, un couple de vieux s’est rendu à la plage pour profiter du soleil. Alors qu’ils dorment à poings fermés, les malheureux sont possédés par des bernard-l’ermite en rut. (Vous avez bien lu.) S’en suit une danse lascive hautement comique. La Mort, Père & Fils, peut-être l’un des plus beaux films de ce volet de la compétition, évoque les liens d’un garçon à son père —un père pas comme les autres, puisqu’il fauche les âmes des vivants. Les péripéties du garçon offrent toute une série de scènes extrêmement drôles.

Pour finir, le premier volet de la compétition comptait trois œuvres non narratives tout à fait étonnantes, Stanzas d’Alicja Jasina, Overlook de Pink Twins et Monstropedia de Koji Yamamura. La première d’entre elles, Stanzas, illustre —ou plutôt, interprète— un très beau poème d’Aldous Huxley. Chaque vers donne lieu à une transcription visuelle convoquant tour à tour des mots, des lettres, des lignes, des formes géométriques, de pures couleurs, etc. Comme souvent en animation —en particulier dans les films non narratifs et non figuratifs où la voix over et la musique jouent un rôle important— la transformation des images relève d’une forme de synesthésie. L’animatrice pense de manière organique et multidimensionnelle —ou, pour reprendre le poète dans le texte, « like a pure angel thinking colour and form ». Tout aussi étonnant, mais dans un genre radicalement différent, Monstropedia de Koji Yamamura. Ce dernier évoque tout à la fois les bestiaires monstrueux de vieilles enluminures, l’univers d’Edward Gorey ou les animations de Terry Gilliam pour les Monty Python. Plus abstrait, plus étrange et plus étonnant, Overlook de Juha et Vesa Vehviläinen offre une vision fantasmatique et hallucinante d’un intérieur noyé sous d’étranges coulées visqueuses, sorte de clin d’œil cryptique au Shining de Kubrick. En somme, un très bon premier volet, composé de films variés et solides.


25 novembre 2017