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Festivals

Sommets 2017 – blogue 2

par Pierre Chemartin

Suite et fin de ce panorama de la compétition internationale des 16e Sommets du cinéma d’animation. Je ne parlerai ni des autres évènements de la rencontre, ni des deux autres compétitions —la compétition étudiante et la compétition des films courts—, sans doute un peu plus inégales que la compétition internationale, mais bourrées d’excellentes surprises. Beaucoup de choses se sont passées ces deux derniers jours. Samedi, le rythme effréné des séances de visionnage a été interrompu par un pur moment de beauté. Les chants et les danses bucoliques de L’Année tchèque se sont subrepticement immiscés entre deux programmes. La Cinémathèque québécoise présentait, dans le cadre des Sommets, une copie restaurée du premier long métrage de Jiri Trnka (1947), œuvre pastorale réunissant de petits contes traditionnels. Le charme suranné de ce film sublime offrait un contraste saisissant avec les courts métrages en lice pour la compétition.

Et cette compétition internationale, alors ? Les deux autres volets comptaient près de vingt films de tous genres et de toutes origines. Dans le lot se trouvaient quelques films un peu banals ou bancals, mais le niveau était globalement élevé. Comme souvent dans les programmes d’animation se trouvent des œuvres construites autour de vraies propositions cinématographiques et où priment la réflexion sur la transformation des matériaux et l’expérience plastique. D’autres œuvres, plus lisses et plus transitives —et dans certains cas très personnelles—, se concentrent davantage sur le récit et sur la transmission du sens. Il n’y a pas de formule toute faite, en animation, mais la durée du court métrage est une contrainte difficile à ignorer. Les meilleurs films sont ceux qui savent se jouer de cette contrainte.

Quelques films du deuxième et du troisième volet de la compétition internationale ont pu décevoir les attentes, non pas tant en raison de leur facture ou de leur qualité, mais parce qu’il leur manquait un petit quelque chose. Fool time job de Gilles Cuvelier est de loin l’un des plus beaux films de la compétition, mais le récit tourne parfois à vide, et l’on peine à saisir le sens du film. Problème similaire avec Out In the open (Isobel Knowles et Van Sowerwine) et La femme canon (Albertine Zullo et David Toutevoix). Les deux films sont plaisants à regarder, mais leur affectation et leur mièvrerie a de quoi laisser circonspect. Circonspection, également, devant The Burden of other people’s thoughts, la suite du film World of tomorrow de Don Hertzfeldt. Étrange et circonvolutoire, ce nouvel opus devrait plaire aux fidèles du réalisateur. On peut presque parler d’une recette éprouvée : personnages construits avec intelligence, infimes détails donnant lieu à d’excellents gags, apparente simplicité du récit au service d’un questionnement profond. Le film est tellement efficace qu’on est frappé, nous aussi, par le vide existentiel et le sentiment de déréliction qui affectent les clones d’Emily.

Les deux autres volets de la compétition internationale comptaient une poignée de films dans la vaine documentaire ou biographique, solides mais non sans défauts, à la fois très personnels et très touchants. Ainsi, notamment, du très beau film d’Éléonore Goldberg, Mon yiddish papi, qu’on peut trouver un peu trop court au vu de ses qualités, ou d’Amor, nuestra prisión de la Mexicaine Carolina Corral, qui tient un sujet fascinant —des détenues parlent de l’amour en prison—, mais qu’on peut trouver là aussi un peu court. La compétition comptait cinq autres films tout à fait passionnants : de Torill Kove, Threads, puissante allégorie sur l’amour maternel ; de Céline Devaux, Gros chagrin, très belle fable sur l’amour qui se défait, où des animations hyper schématiques —quelque part entre des diagrammes techniques et des graffitis obscènes de café de gare— illustrent de très beaux passages en prise de vue réelle ; de Chloé Mazlo, Diamenteurs, curieux film autobiographique, inventif et poétique, qui par de curieux détours mêle l’histoire familiale, la fable orientale et la glose savante ; du flamand Pieter Coudyzer, le film Urge, à la fois très simple et très beau, conçu comme son précédent film, The Wake. Les effets de profondeur et de texture évoquent la caméra multiplane, avec superposition d’herbes, de feuilles, de branches et de nuages. Exercice de style ? Peut-être, mais il s’agit sans doute de l’un des films les plus poétiques —la toute-puissance des éléments qui se déchainent sur une modeste coccinelle— et les plus surprenants de la compétition. De ce point de vue, le film d’Antonis Ntoussias et d’Aris Fatouros, Aenigma, a quelque chose d’unique. Présenté en relief, oscillant constamment entre le kitsch et le sublime —je penche pour le sublime—, bourré de références à la mythologie grecque et à la peinture surréaliste, le film est sans conteste un film hors norme et, là encore, surprenant.

À ne pas rater non plus, dans la lignée de Urge et Aenigma, cinq films construits autour de projets plastiques confinant à de la pure poésie visuelle : l’hypnotique Crux d’Alexandre Roy, conçu sur pellicule 35mm, et le saisissant Not my type de Gerd Gockell, travaillant sur la matérialité du papier et sur les lettrages, tous deux remarquables pour leur accompagnement sonore et les effets de synchrèse ; le très beau film de Fernando Pomares, Morning Cowboy, sur l’escapisme, tout en virevoltes et en mouvements, à qui je donne une palme personnelle —dans un univers parallèle, je suis cosmonaute— ; enfin, signalons deux films tout à fait exceptionnels mais discrets, le film de Shiva Sadegh Asadi, Maned & Mancho, superbe parabole sur la force du songe —là encore—, et conçu selon un procédé de transformation qui évoque Schwizgebel ou Cournoyer, ainsi qu’Une biographie de Alexander Schellow, œuvre « entièrement dessinée et animée de mémoire », nous dit-on, saisissant par de petits pointillés une femme atteinte d’Alzheimer, à la fois frappée d’amnésie et condamnée à l’oubli. L’animation seule, par sa malléabilité plastique, est capable de faire sentir de telles choses. Simple et superbe. Merci, les Sommets !


26 novembre 2017