Sommets du cinéma d’animation 2019 – Blogue no. 1
par Pierre Chemartin
La 18e édition des Sommets du cinéma d’animation bât son plein, avec une programmation généreuse et passionnante. C’est d’abord, de l’avis de tous, une année exceptionnelle, pleine d’intérêt. En plus des films présentés en compétition, le programme des Sommets permet de découvrir des œuvres récentes ou inédites, avec des séances dédiées, pour les unes, à l’animation classique et underground, pour les autres à l’animation canadienne ou à l’animation jeunesse. La soirée de clôture s’annonce d’ores et déjà passionnante, avec les tout nouveaux films de deux auteurs incontournables, Theodore Ushev et Anca Damian, Physique de la tristesse et L’Extraordinaire voyage de Marona. Ce sera sans aucun doute l’un des temps forts de la 18e édition des Sommets. À ne pas manquer également, l’une des plus belles attractions des Sommets, l’excellente compétition des films très courts, comme toujours bourrée de petites perles.
La compétition internationale présente quatre volets au lieu de trois. Pour la plus grande satisfaction des spectateurs, la qualité de la sélection est très homogène. Aucun des films présentés n’a de faiblesses, même ceux qui, pour une raison ou une autre, nous ont un peu moins plu. R.A.S. de Lucas Durkheim nous touche, non pas tant pour une question de style, qu’en raison de sa brièveté. Son dénouement brutal a un côté saisissant et profond. Avarya de Gökalp Gönen, visuellement un peu trop lisse à notre goût, a tout de même quelque chose d’envoûtant. Les films qui ont une facture un peu plus personnelle ou humoristique, comme La Boîte de Marie-Pierre Hauwelle, avec ses belles figures de papier découpé, ou les œuvres dont le sens repose sur le travail de la matière et le caractère expérimental, comme Flow d’Adriaan Lokman, ont peut-être un aspect plus attractif.
Les deux premières compétitions s’ouvraient sur une œuvre courte mais très ambitieuse, Suggestion of least resistance de Michelle et Uri Kranot —très belle composition musicale d’Iris ter Schiphorst—, qui ont derrière eux une œuvre très riche. Suggestion détourne des images d’archives représentant un moment-clef de l’histoire de l’Autriche qui s’est déroulé peu de temps avant l’Anschluss —un mouvement de grève réprimé dans le sang par des miliciens fascistes, avec l’aval de la police et de l’armée. Les photogrammes sont découpés, peints et triturés, les images montées et remontées autour d’une figure humaine, petit point perdu dans une foule agitée. En nous plongeant de cette manière dans l’histoire, le film se permet, par une étrange concordance de temps, d’évoquer l’actualité politique autrichienne et européenne.
D’autres films de la sélection touchent à des questions politiques, directement ou non, tout en cultivant un caractère décalé et poétique. C’est le cas, notamment, du film amusant de Nata Metlukh, Paper or plastic, un artiste qui ne se sent chez lui nulle part, mais également du film de Mykyta Lyskov, Deep Love, pérégrination surréalisante et colorée dans une Ukraine inquiétante, envahie de sacs plastiques. Toujours sur le mode comico-surréaliste, l’excellent Why slugs have no legs d’Aline Höchlin, satire animalière sur la déshumanisation du monde du travail. Drôle et léger, le film est dans la plus pure tradition du film d’animation entomologique, mais avec un aspect absurde qui rappelle certains passages de l’adaptation des Tales of the far side de Marv Newland. Autre film à caractère poétique, le très beau film de Franck Dion, Per aspera as astra, adaptation d’une belle chanson de Kent. C’est au Roi et l’oiseau qu’on pense, cette fois-ci. L’ambition politique du film, si tant est qu’il y en ait une, est purement libertaire. Cette impression est accentuée par les paroles de la chanson —apparemment lues par Franck Dion—, qui évoquent irrésistiblement la poésie de Jacques Prévert. Le mariage des images et des paroles a quelque chose de sibyllin, mais le film est l’une des plus belles propositions visuelles des Sommets, avec une superbe finale.
Les deux premières compétitions comptaient deux œuvres autobiographiques. Saigon sur Marne d’Aude Ha Leplège, dans lequel l’auteure interroge ses grands-parents au sujet de leur histoire amoureuse — couple mixte franco-vietnamien transplanté en France; le film peut sembler anecdotique, mais il est très agréable à regarder. Plus ambitieux au plan artistique, Oncle Thomas de Regina Pessoa, très belle et très touchante évocation d’un oncle excentrique, plein de compulsions et de manies, dans un noir et blanc magnifique. La facture du film est superbe et les scènes oniriques sont parmi les plus belle des Sommets — le voyage à moto, le champ de coquelicots, la scène des dessins, etc.
Les quatre derniers films de la deuxième compétition étaient parmi les plus intéressants, tant sur le plan visuel que sonore. Le dernier film de Bruno Tondeur, Sous le cartilage des côtes, confirme le talent d’un auteur qui avait été remarqué pour un autre très bon film, Deep Space. L’atmosphère et la facture du film font penser à l’univers graphique d’Olivier Schrauwen. Le sujet du film, qui ne manque ni d’intérêt, ni d’originalité —un homme atteint d’une maladie imaginaire fait une lente descente aux enfers—, pourrait ne pas plaire à tout le monde, mais c’est l’un des meilleurs films de cette sélection. Nous avons beaucoup aimé Central Square de Daniel Rowe; cette courte étude, conçu dans la plus pure tradition cohlienne, est essentiellement constituée de boucles et de transformations, et rappelle The Street de Ryan Larkin. Le film est malheureusement un peu court pour être apprécié à sa juste valeur, mais il n’en reste pas moins impressionnant. Les deux meilleurs films de ces deux premières compétitions sont peut-être Le Mal du siècle de Catherine Lepage adapte quelques pages de livres publiés par l’auteure chez Mécanique générale et Somme toute. Le film consiste en une succession de gags et de métaphores visuelles saisissantes —un poisson portant d’une bouée, un athlète s’entraînant sous une guillotine, un jockey chevauchant un éléphant, etc.—, accompagné d’une très belle musique de Philippe Brault. C’est L’Heure de l’ours qui remporte ma palme personnelle. Ce film d’Agnès Patron est probablement l’un des plus beaux de l’année et, à coup sûr, des Sommets —Lola la patate vivante de Leonid Shmelkov est son concurrent le plus sérieux. L’accompagnement sonore et musical est extraordinaire —sur une partition de Pierre Oberkampf— et l’atmosphère du film, inoubliable. Cette œuvre magique, qui relève tout à la fois du conte merveilleux et du cauchemar enfantin, est plein de fureur, de fièvre, de désirs et d’effroi. À ne pas rater.
Image d’entête : L’Heure de l’ours
8 Décembre 2019