Sommets du cinéma d’animation 2016 – Blogue 2
par Pierre Chemartin
Si la première session des Sommets semblait si enthousiasmante, que dire de la deuxième et de la troisième session ? Qu’elles étaient objectivement supérieures et qu’elles ont largement dépassé les attentes du public. Il fallait le faire !
Il serait injuste d’écarter de toute cette sélection les dix films des deux sessions du Réel animé, conçues en partenariat avec les Rencontres internationales du documentaire de Montréal. Ces films avaient leur place dans ce blogue. (On ne parle jamais assez des films d’animation à vocation documentaire. Cette veine du cinéma d’animation pourrait très bien, avec le temps, se transformer en une véritable lame de fond. En bande dessinée, elle a suscité les plus grandes œuvres de ces vingt dernières années.) Sans doute avaient-ils également leur place dans la compétition internationale. Mais on sait que, pour une simple question de registre et de ton, il est difficile de présenter, dans les mêmes sélections, des œuvres documentaires et des œuvres de fiction. On peut tout à fait soutenir que la facture du film n’a pas nécessairement d’importance, que seuls comptent l’intention et le contenu du film, que l’animation des images n’est qu’un véhicule sans importance. La réalité des choses montre que ce distinguo ne tient pas toujours la route. Il y a les films d’animation qui, tout en ne relevant pas exactement du documentaire, en ont néanmoins l’aspect ou la démarche. Je pense notamment aux œuvres écrites au « je » — projets à vocation autobiographique, donc— qui brouillent les pistes et rendent la question du genre totalement caduque. Ces œuvres, dans le futur, pourraient très bien trouver leur place dans la sélection officielle. C’est le cas, par exemple, de l’excellent film de Diane Obomsawin, J’aime les filles (prix Guy-L. Coté pour le meilleur film d’animation canadien), au style inimitable, plein finesse et de drôlerie, qui ne relève ni vraiment du documentaire, ni vraiment de la fiction, mais tout simplement du récit de vie.
Revenons donc à la Compétition internationale. Difficile, ici, de rendre compte de tous ces films. Chacun d’eux mériterait d’être passé à la loupe et commenté longuement — encore que certains films, du simple fait de leur poésie, de leur facture ou de leur beauté, résistent à l’analyse critique. Que dire de Wall Dust de Haiyang Wang ou de La bêtise de Thomas Corriveau ? Que dire de Casino de Steven Woloshen ou de Primal Flux de Joan Gratz ? En animation, les tours de force virtuoses font un bon film, mais ils ne font pas le chef d’œuvre. Ces quatre exemples montrent que, quand on est en présence de chefs d’œuvre, la poésie sort de tous les pores du film.
Comme toujours, le festival présentait des films aux ambitions très différentes. Dans le lot, des films surréalistes, poétiques, amusants, merveilleux, abstraits, amusants. Certains films mériteraient d’être revus, encore et encore, du fait de leur complexité, de leur profondeur ou de leur richesse. C’est le cas de trois films britanniques qui, outre le fait qu’ils sont tous trois remarquables sur le plan sonore, présentent certaines parentés sur le plan de la facture —contrastes visuels ou graphiques forts, récits hyper elliptiques, ton énergique, presque violent. Dans l’ordre de présentation : Neck and Neck de Shaun Clark, qui revisite Othello de la manière la plus créative et surprenante qui soit ; AM/FM de Thomas Hicks, au récit complexe et savant, plein de circonvolutions étranges, conçu à partir de très beaux collages ; le très amusant Wednesday with Goddard de Nicolas Ménard (prix du public et prix spécial du jury de ces Sommets) —un expatrié québécois, semble-t-il— où un homme, aussi curieux que candide, part à la recherche de Dieu. Parmi les autres films remarquables présentés durant la deuxième et troisième session, le très beau et très touchant film de Claude Luyet, Le fil d’Ariane, mais également Plein été de Josselin Facon. L’apparente simplicité des deux films dissimule, en réalité, quelque chose d’assez profond et d’assez difficile à décrire. Comment montrer une chose aussi simple que l’ennui et l’attente ? Qui est l’homme aux fleurs ? Un amour qui n’est jamais arrivé ? Comment montrer une chose aussi étrange et fugace que le désir soudain d’un jeune homme pour sa mère ?
La programmation comptait quelques films tout simplement drôles ou surprenant : le distrayant Parle-moi, de Christophe Gautry, qui a créé un revirement subit, dans le deuxième programme, avec son ton très cru et très amusant (« —Parle-moi », « —Heu, OK, c’est sympa ta déco ») ; l’étrange film de Morgan Miller There’s too many of these crows, au titre évocateur, où les humains et les corbeaux se vouent aux gémonies ; l’amusant Tearaway d’Eleanor Stewart, où les animaux de la forêt —très belles figures de papiers et cartons découpés— comprennent qu’ils se font voler par un bien vilain castor ; l’excellent Eyeless hunter de Priit et Olga Pärn, conte traditionnel mi-merveilleux, mi-fantastique, autour d’un couple et de ses querelles.
Ce tour d’horizon ne serait pas complet si nous ne parlions pas des deux plus beaux films —à mes yeux, s’entend— de la Compétition internationale : Among the black waves d’Anna Budanova et It would piss me off to die so yoooooung de Filipe Abranches (Grand prix de ces Sommets). Deux performances plastiques extraordinaires, à la fois touchantes et visionnaires —sur des thèmes ou dans des styles pourtant rebattus, le conte merveilleux pour l’un, la Grande guerre pour l’autre. Deux œuvres à ne pas manquer, donc.
28 novembre 2016