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Festivals

Suggestions pour les RIDM 2016

par Philippe Gajan et Ariel Esteban Cayer

Sortir de notre bulle : quelques suggestions pour les RIDM

Philippe Gajan

Aux lendemains de  l’élection de Donald au pays de Mickey, il faut absolument lire Michael Moore et son programme en cinq points. Surtout le quatrième point («What you mean to say is that you were in a bubble and weren’t paying attention to your fellow Americans and their despair.», qui nous engage à nous (re)connecter avec le monde. Ce qui pourrait en toute logique nous amener à nous poser la question : est-ce que le cinéma peut nous aider, nous aider à nous connecter, nous aider à sortir de notre bulle ?

Après tout, cinéma devrait rimer avec ouverture sur le monde, tout le monde. Après tout, les RIDM commencent ce soir avec un regard en biais sur la crise migratoire !

Fuocoammare, Lyon d’or à Venise cette année, le documentaire de Gianfranco Rosi (Sacro GRA en 2013, déjà primé à Venise) sur la crise migratoire qui se déroule sur la désormais trop connue (et symbole d’une faillite généralisée de notre époque) petite île italienne de Lampedusa, doit nous permettre de débuter notre rédemption.

Pour poursuivre sur la question des migrants, aux antipodes du style et de l’approche de Rosi, le film d’une émule de Wang Bing, Shengze Zhu, Another Year, vainqueur à Visions du réel cette année, nous plonge, en treize tableaux, dans le quotidien d’une famille chinoise à l’heure du repas. Une manière saisissante d’aborder une autre forme de migration et de précarité, celle de l’exode rural.

Parmi nos incontournables, toujours sur la question des réfugiés, difficile de passer à côté du grand cinéaste israélien Avi Mograbi qui, avec Entre les frontières, s’intéresse à des demandeurs d’asile Africains placés dans un camp au beau milieu du désert pour questionner, à l’aide d’ateliers de théâtre, leurs histoires et leur statut.

Peut-être pour soulager ce poids insoutenable, mais aussi et surtout pour combattre le déterminisme, l’autre nom contemporain pour fatalité, un film porteur d’espoir, Swagger, met en scène les aspirations de quelques jeunes des banlieues françaises. Un film léger, parfois cocasse et donc fort sage.

Pour finir, deux films apocalyptiques : Tim Sutton nous offre le remarquable Dark Night, une Amérique peuplée de zombies (ou presque), celle d’après Columbine, celle d’après Elephant. Et, parce que le cinéma est affaire de fantômes, qu’après les zombies et l’apocalypse, il ne restera que les fantômes comme témoins de notre propre naufrage, un des plus beaux film de l’année, Homo Sapiens de l’Autrichien Nikolaus Geyrhalter, une suite de plans sans dialogue d’une beauté fulgurante sur des lieux à l’abandon.

Ariel Esteban Cayer

Voici une année fort prolifique pour le documentariste chinois Wang Bing. Bitter Money, présenté au Festival du Nouveau Cinéma, traitait de la migration de travailleurs chinois vers les grands centres. Ta’ang semble d’ores et déjà en être le complément parfait : un portrait de migrants fuyant la guerre civile du Myanmar (la Birmanie) vers le no man’s land de la frontière chinoise. Les RIDM mettront par ailleurs de l’avant plusieurs films traitant de la crise migratoire mondiale, et avec Ta’ang, Bing promet déjà une perspective inusitée sur la question, propre à la réalité chinoise.

De même, les réalités autochtones sont à l’honneur au festival, et We Can’t Make the Same Mistake Twice, dernier documentaire d’Alanis Obomsawin, sera montré en présentation spéciale. La réalisatrice de Kanehsatake: 270 ans de résistance signe ici un autre documentaire-fleuve, sur les injustices systémiques et légales qui affligent encore les communautés autochtones du Canada. Son nouveau film promet déjà d’être aussi essentiel que pertinent, à la lumière, notamment de la commission d’enquête sur les femmes autochtones disparues ou assassinées, lancée en septembre dernier par le gouvernement fédéral.

Prouvant année après année l’importance d’une définition fluide du documentaire, les RIDM présenteront également deux des films les plus attendus et primés de la cuvée locarnoise de l’année : El futuro perfecto, hybride documentaire-fiction récipiendaire du Léopard d’Or du meilleur premier film, et The Human Surge, prix du meilleur film de la section Cinéastes du présent au même festival.

Finalement, c’est le sujet nettement plus léger de la pop japonaise qui attire notre attention, dans Raise Your Arms and Twist : Documentary of NMB48 d’Atsushi Funahashi. Promettant un regard anthropologique et détaché sur les hiérarchies et rituels complexes qui régissent les super-groupes de starlettes japonaises (48 par groupes, et un groupe par région, pour un total de plus de 200 membres à tout moment), voici l’occasion rêvée d’en découvrir plus sur cette facette – à la fois anxiogène et fascinante – de la culture pop japonaise.

Bon festival !

10 novembre 2016