TIFF 2017 – Un avant-goût de Montréal?
par André Roy
La réputation de ce festival, né en 1976 (sous le nom Festival of Festivals), n’est plus à défendre. La manifestation est considérée comme un événement majeur sur la scène du cinéma canadienne, comme une porte d’entrée pour les cinémas européens et asiatiques aux États-Unis. Et pour le cinéphile, qui n’a pas l’occasion (ou l’argent) pour aller Berlin, Cannes, Locarno ou Venise, c’est l’endroit rêvé où se rendre au début de chaque mois de septembre, car une grande partie de la programmation est la reprise de plusieurs films projetés à ces prestigieux festivals. Et le Toronto International Film Festival annonce pour les Montréalais férus de cinéma quelques films qui seront projetés plus tard au Festival du nouveau cinéma ou aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal. Ainsi, on pense pouvoir voir cette année, à ces deux manifestations, entre autres grands films que nous avons visionnés dans la Ville Reine, The Day After (« Le jour d’après ») où Hong Sang-soo se surpasse en complexifiant dans une mise en scène la plus simple ses thèmes habituels : les questions existentielles sur les relations amoureuses ; Mrs. Fang où Wang Bing filme avec un détachement des plus rigoureux l’agonie d’une vieille dame atteinte de la maladie d’Alzheimer ; Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc où Bruno Dumont, avec ses comédiens amateurs qui chantent et qui dansent de manière maladroitement géniale, offre une œuvre stupéfiante, puissante, unique, folle, d’une totale nouveauté comme d’une absolue liberté.
Nous nous attarderons ici sur quatre films qui pourraient bien être choisis par les programmateurs d’un festival montréalais. On le souhaite ardemment. Deux sont signés par des auteurs à la réputation solide, et deux autres, par des réalisateurs qui s’imposeront dans les années à venir.
Robert Guédiguian, avec La villa, nous ramène à Marseille, ville de ses principales fictions depuis 1991, et à ses principaux interprètes, Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan et leurs amis de l’Estaque, qu’on a ainsi vu vieillir de film en film. Libre adaptation de La cerisaie d’Anton Tchékhov, ce 20e opus met en scène deux frères et une sœur, fatigués, désillusionnés, tristes, qui se retrouvent autour de leur père à l’agonie. Au fil des jours, leurs sentiments tout autant que leurs opinions politiques se transforment, l’agonie ayant déclenché réflexions, confessions et, surtout, densification de leurs amitiés et de leurs amours. Ils font le bilan de leur vie. Ils regardent leur présent à travers leur passé, ce qui donnera lieu à un des plus émouvants moments du film, un extrait de Ki Lo Sa, de 1985, où on l’on voit la fratrie jeune, heureuse, insouciante. Ce drame social (la maladie d’un père et ses répercussions sur la famille) est en creux un film éminemment politique qui affirme qu’on peut aller au-delà de nos désenchantements, qu’il y a d’autres raisons de mobiliser sa conscience politique qui s’est affadie : ce sont trois enfants émigrés qui seront leur deus ex machina. Une belle fin pour ce film crépusculaire.
Autre cinéaste très connu : Hirokasu Kore-eda, qui revient avec une œuvre qui tranche totalement sur ses précédentes. L’auteur quitte les drames familiaux pour un polar mâtiné d’un film de procès. Filmé dans un magnifique noir et blanc, The Third Murder raconte l’histoire de Shigemori, un avocat en vue, qui décide de s’occuper de la défense de Misumi, qui a avoué le meurtre de son ex-patron. Shigemori persiste à le défendre malgré des preuves accablantes afin de lui éviter la peine capitale. Kore-eda détourne lentement les codes du film de polar, l’opacifiant de plus en plus, suspendant une conclusion rassurante à laquelle on s’attendait. L’auteur s’interroge sur la vérité et le mensonge, le crime et la justice, et on le suit dans le dédale des rebondissements et des fausses pistes avec un intérêt qui ne se dément pas. La mise en scène du cinéaste est non seulement intelligente, mais splendide de rigueur et de savoir-faire.
Angels Wear White est le deuxième long métrage d’une figure importante du cinéma indépendant chinois, Vivian Qu. Racontant l’agression sexuelle de deux adolescentes par un homme d’âge mûr dans un motel d’une station balnéaire, et dont une employée, Mia, sera le seul témoin, Qu montre combien l’innocence enfantine est incertaine et qu’être libre est le plus souvent impossible. Le film souligne qu’une justice peut être détournée de ses fonctions par les pouvoirs (l’agresseur étant ici un haut placé de la police). En suivant les trois jeunes filles, la narration, sur fond de suspense, acquiert, une forme ample, riche, entre le portrait intime d’une jeunesse aux rêves brisés et le portrait politique sur des sujets épineux comme la corruption, les tracasseries administratives, la prostitution infantile. Ce film sombre se révèle une critique acerbe et acérée d’une Chine plus que jamais capitaliste et occidentalisée.
Ilian Metev est un jeune cinéaste bulgare dont le talent avait été révélé à la Semaine de la critique à Cannes en 2012 avec un documentaire, Ne tirez pas sur l’ambulance. Son deuxième opus est une fiction de l’intime, du chuchoté, du dolent, intitulée 3/4. Il y a là trois personnages importants : Simona, une pianiste, Niki, son frère préadolescent, et leur père, Todor, un astrophysicien professeur. Voici une peinture contemplative d’une famille durant quelques jours d’un été lumineux. Contrairement aux films venus de l’Est, généralement sordides, 3/4 n’a rien de social ni de politique. Dans sa progression hasardeuse et minimale, dans une série de moments au quotidien le plus normal, cette étude impressionniste dévoile des relations humaines où le silence dit les doutes et où la parole libère l’anxiété de chacun (Simona qui doit passer un examen, Niki entre dans une adolescence turbulente, le père est insatisfait de son enseignement). C’est également une fiction sur l’absence, sur cette mère qu’on ne voit jamais, ce « quart » qui manque dans le titre. Sur ce rien, le film se bâtit lentement, s’inventant au fur et à mesure un espace exigeant où peuvent prendre place la fragilité des sentiments et la délicatesse des émotions.
18 septembre 2017