TIFF 2018 – Blogue #5
par André Roy
Comme toujours dans les festivals de films, nous courons vérifier comment se portent certaines cinématographies, comme celle de la France ou celle du continent asiatique. Particulièrement ce dernier, qui au cours des trente dernières années, nous a ébloui par ses propositions esthétiques, certainement les plus stimulantes du cinéma mondial. On le vérifie encore avec quatre films, deux du Japon et deux de la Corée du Sud, qui ont été auparavant présentés cette année dans des festivals (Cannes et Locarno).
Hamagushi et Kore-eda
Commençons par deux films du Japon : Asako I & II de Ryusuke Hamagushi et Shoplifers (en français : Une affaire de famille) de Hirokazu Kore-eda, riches et inoubliables. Pour Hamaguchi, on a pu voir cet été à la Cinémathèque québécoise Happy Hour. Asako I & II table sur le double et la réitération. À Osaka, une jeune fille, Asako, rencontre dans une exposition de photos Baku, dont elle tombe immédiatement amoureuse, mais qui disparaîtra subitement de sa vie. Deux ans plus tard, elle rencontre Higashide qui ressemble étrangement à Baku; pourtant, par son caractère, il est très différent de ce dernier. Par petites touches qui sont autant d’épiphanies sur le doute et les hésitations du cœur d’Asako, dans une vie semée d’accidents, d’un tremblement de terre à un renversement d’une moto sur la route, le réalisateur maintient admirablement l’obsession d’Asako pour son ancien amour en jouant sur la répétition dans ses relations humaines. Son film porte sur le temps, la transformation des sentiments et l’entrée dans la maturité. Mais, c’est surtout un film sur l’évolution de l’amour et le chemin inattendu que prend une passion – que Hamagushi décrit avec intensité et douceur.
Kirokazu Kore-eda n’est plus à présenter; tous ses films ont été projetés à Montréal. On connaît le grand thème qui parcourt ses œuvres : la famille. Une famille qui n’en est pas une ici, un homme, sa femme et sa mère recueillant des enfants abandonnés et maltraités. Une famille pas normale en quelque sorte, qui forme un groupe de marginaux vivant de rapines. Ils sont pauvres, mais heureux, et sont regardés par un Kore-eda plein de compassion et de délicatesse. Sa manière de tisser les liens familiaux est incomparable dans la minutie : un vrai orfèvre. Il le fait avec cocasserie, vivacité, finesse et mélancolie. Par sa simplicité et sa bienveillance, le cinéaste se fait un devoir de ne pas abandonner ses personnages à la méchanceté du monde. Son cinéma est celui de la réconciliation. Et cela est beau.
Hong Sang-soo et Lee Chang-dong
Deux œuvres de la Corée du Sud qu’il ne fallait pas rater : Hotel by the River de Hong Sang-soo et Burning de Lee Chang-dong. Le Coréen est un habitué des festivals, qui le choient avec raison, ayant toujours un film, parfois deux, de lui chaque année. Cinéaste prolixe, Hong explore les thèmes qui lui sont chers, tout particulièrement les relations amoureuses. Cette fois, il change un peu de scénario, s’attachant aux relations entre trois membres d’une même famille : le père et ses deux fils, qui ne cesseront de se chercher, de se retrouver et de perdre dans un hôtel au bord d’un lac en hiver. Pour contrebalancer les présences masculines, le cinéaste met en scène une mère et sa fille; celle-ci tente de se remettre d’une relation destructrice. Comme toujours chez Hong, les personnages sont cultivés; le père est poète, un de ses fils est cinéaste. Leurs histoires d’amour sont par ailleurs lamentables. Ils se questionnent, changent d’idées constamment, et comme toujours, c’est une marque de fabrique du cinéaste, ils mangent et boivent beaucoup. Un hôtel, une rivière en hiver : les personnages sont hors du temps, en voyage, plus à la recherche d’eux-mêmes que de l’autre. On est dans le monde de l’incertitude et de l’hésitation, dans une temporalité mouvante, étirée et répétitive. Dans la solitude aussi. Le tout filmé dans un beau noir et blanc, scintillant, velouté, qui enrobe en quelque sorte les personnages dans une mélancolie sans fin, comme ce blanc infini du paysage neigeux, mais qui n’a rien de triste : beaucoup de traits d’humour s’y glissent et donnent une certaine sérénité à ce tableau des ambivalences du cœur et de la raison. Sublime.
Sublime l’est aussi Burning de Lee Chang-dong, qui donne enfin un film après huit ans et son Poetry qui nous avait ravi, transporté. Superbe film qui a toutes allures d’un thriller, mystérieux, secret, à la fois contemplatif et réaliste. Adaptation d’une nouvelle de Haruki Murakami, il met en scène une jeune homme, Jongsu, qui veut devenir écrivain, et qui rencontre une amie d’enfance, Haemi. Celle-ci part en voyage et revient avec Ben, un jeune homme riche et prétentieux, qui roule en Porsche et vit dans un luxueux appartement. Il raconte à Jongsu son étrange hobby : mettre le feu à des serres. Ce ne sera pas le seul élément étrange dans la vie de Ben. Il est manipulateur et Jongsu le sent. Comme chez Hong, on est plongé dans l’incertitude et les faux-semblants, qui nous entraînent, fasciné, dans un jeu de chausses-trappes et de dédales mentaux où la rivalité en les deux jeunes hommes peut révéler un sentiment amoureux qui ne dit pas son nom. Nous sommes doucement mené dans un glissement progressif astucieux de la narration. Sous les apparences, qui ont tout du rêve, s’insinue une violence qui éclatera, imprévue, dans le dernier plan, admirable – comme tout ce film mené de main de maître. Un chef-d’œuvre.
Il ne nous reste plus après l’écriture de cet article qu’à être patient et attendre quelques jours pour voir Ash Is Purest White (en français : Les éternels) de Jia Zhangke et Dead Souls (Les âmes mortes) de Wang Bing (d’une durée de huit heures!).
17 septembre 2018