TIFF 2015, jour 2 : survivre
par Helen Faradji
« Choose wisely »… voilà ce qu’une consoeur russe a pu entendre de la bouche des gentils employés du TIFF chargés de délivrer – ou non – les précieux tickets nécessaires à entrer dans les projections publiques du festival (parfois les seules où l’on pourra voir tel ou tel film, après un horaire construit avec la patience d’un joueur d’échecs).
Mais voilà aussi le conseil qui aurait pu s’appliquer aux héros des deux films du jour. Celui de Demolition d’abord, signé Jean-Marc Vallée et choisi comme feu d’artifice d’ouverture, où Jake Gyllenhaal, financier à la belle vie propre, lisse et bourgeoise voit ses repères s’effondrer après la mort de sa femme dans un accident. Un deuil ? Non, pas tout à fait. Car le pauvre hère va surtout réaliser que la vie qu’il s’était choisie, celle à laquelle les magazines essaient de tous nous faire rêver, ne lui allait pas. Comment ? En démolissant tout. Littéralement. De son frigo à sa maison, en passant par son travail et ses relations avec son ex-belle famille…. Un projet qu’un cadre fixe sur le seul œil traversé d’éclairs de démence incroyables de Gyllenhaal aurait pu suffire à circonscrire, pour tout dire. Mais un projet auquel Vallée a voulu ajouter une intrigue parallèle avec une agente d’un département de plaintes, et son fils en pleine recherche identitaire, dont l’on se demande encore un peu ce qu’elle venait faire là. Car au fond du regard posé par Vallée sur Gyllenhaal se nichait le véritable enjeu de son cinéma depuis le début : la survie, ou comment l’homme, dans un monde cruel où la différence n’est pas tolérée, peut réussir à se frayer un chemin. L’acteur était là, la réalisation aussi, la confiance peut-être un peu moins…
Même sentiment d’inabouti devant Maintenant, ils peuvent venir, coproduction France-Algérie et premier long signé Salem Brahimi, adapté du roman d’Areski Mellal. Inabouti, mais autrement plus essentiel, peut-être, faut-il tout de même noter. Se baladant avec un sens de l’ellipse probablement trop marqué dans cette décennie de l’horreur (1989-1998) durant laquelle l’Algérie se fit prendre au piège de la montée d’un islamisme radical, le film pose cette question grave avec une finesse remarquable : que faire ? Rester et résister ? Rester et assister, impuissant, à la barbarie qui prend racine ? Partir, comme le fait dès le début, la jeune fiancée du héros, Nouredine, fonctionnaire et écrivain ? Ou admettre qu’il n’y a pas de solution. Incroyablement à l’aise dans la construction d’une atmosphère anxiogène, parfois proprement terrorisante, le film pâtit pourtant d’une réalisation sans grande inventivité, faisant passer le temps de façon plus artificielle. Le beau sujet attend encore sa belle réalisation.
Un dernier mot pour dire que la projection la plus courue du jour était sans nul doute celle de Where to invade next du toujours casquetté Michael Moore. Si une version pleine d’auto-apitoiement, à l’ironie diluée dans la démagogie vous tente, revenez-y. Si une vision du monde en noir et blanc, où les méchants Américains n’ont qu’à se mordre les doigts et pleurnicher devant les merveilleux avantages sociaux accordés aux Européens vous agace, passez votre tour. Simple comme bonjour.
12 septembre 2015