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Festivals

Tribeca Film Festival 2015

par André Roy

DANS L’ORDINAIRE D’UN FESTIVAL

Fréquentant assez souvent les festivals d’ici et d’ailleurs, nous constatons qu’ils commencent tous à se ressembler, d’autant que les films circulent d’un festival à l’autre. Leur organisation s’apparente. Chacun offre des séances gratuites (toutes celles du vendredi 24 avril de cette édition 2015 du festival de Tribeca l’étaient); il y a la présentation de projets de réalité virtuelle et numérique; des panels pour l’industrie; des célébrations (ici des Pythons) et des hommages (aux frères Mayles); une journée de la famille; des spectacles et des rétrospectives (ici autour de la danse et de musique, et de Frank Sinatra); des prix (dont les inévitables prix du public, un pour la fiction et un autre pour le documentaire au TFF), etc. Chacun grossit en multipliant les sections (7 à New York), ce qui donne 101 longs métrages présentés, soit 25 de plus que l’an dernier, et dont les projections étaient répétées quatre fois. Le Tribeca Film Festival n’échappe donc pas à cette tendance lourde des manifestations cinématographiques, lui qui est né à partir d’une idée de Robert de Niro il y a quatorze ans à la suite du 11 septembre (les tours jumelles étaient situées dans le quartier de Tribeca). Entre le New York Film Festival et New Directors New Films, il pose dans la Grosse Pomme ses marques, se voulant un festival tout-public, montrant des productions de vétérans comme de cinéastes émergents, des films dits populaires comme des films plus marginaux. On y trouve donc de tout, sans pourtant être sûr d’en sortir complètement satisfait. Il fallait courir — et se fatiguer — pour trouver des propositions intéressantes. À défaut de grandes révélations, on pouvait découvrir deux, trois films étonnants et riches.

Nous avons été chanceux, un des premiers films vus était remarquable. Une production finlandaise de Dagur Kari (auteur de Noí l’albinos déjà présenté à Montréal), Virgin Mountain, dont le ton et la thématique — atmosphère dépressive et misère affective — n’étaient pas sans rappeler certains œuvres venues des pays du Nord comme Oslo, 31 août de Joachim Trier ou 101 Reykjavik de Baltasar Korkmákur. Comédie douce-amère, ce quatrième long métrage de Karu raconte simplement la vie étriquée de Fusi, un homme de 43 ans célibataire, vierge et, surtout, obèse, qui vit avec sa mère veuve, et qui n’est pas vraiment sorti de l’adolescence. Ridiculisé et ostracisé par ses compagnons de travail, Fusi, homme foncièrement bon et aux émotions rentrées, tombe amoureux d’une femme en pleine dépression. Son histoire d’amour se terminera, on le devine, en queue de poisson. Malgré sa noirceur, le film est lumineux, délicat, avec des touches d’une extrême humanité.

Belle surprise fut encore Viaje, film du Costa Rica (oui, oui) de Paz Fábrega. Son deuxième film, après Agua fria del mar (2010), est d’une grande simplicité lui aussi. On assiste à la rencontre de Patricio et de Luciana au cours d’un party et qui décident de partir sur la route pour une semaine. Ces deux esprits libres s’installent dans la forêt où ils discuteront de ce qu’ils aiment, de leurs obligations et de leurs passions. Ce film en noir et blanc, est fort court (1 h 10), trop court même tant ce couple désinhibé suscite empathie et émotion, joie et complicité.

Une autre film en noir et blanc est Aferim! du cinéaste roumain Radu Jude, œuvre étrange et cruelle. C’est une reconstitution montrant un père policier et son fils cheminant tels Don Quichotte et Sancho Panza dans la campagne roumaine à la poursuite d’un esclave, un Gitan qui aurait eu une liaison avec la femme de son maître. Cette traversée du pays profond est ténébreuse; ses habitants sont arriérés, et ses prêtres comme ses aristocrates sont xénophobes et antisémites. Radu brasse tout ce qui est possible dans les préjugés et les opinons de campagnards pauvres et bêtes. Il nous donne une sorte de western grinçant, absurde et, pourtant, semble-t-il, véridique sur le plan historique, en donnant une page peu assumée de l’histoire d’une Roumanie corrompue jusqu’à l’os — ce qui n’est pas sans avoir des échos contemporains. Ce film en noir et blanc réussit à trouver un équilibre et une parfaite précision dans son mélange de scènes de foules et de scènes intimes. C’est un film politique à ne pas douter, à la fois graveleux et grave, et pour tout dire inclassable. On pourra voir les œuvres précédentes de Radu à la rétrospective du cinéma roumain présenté cet automne à la Cinémathèque québécoise.


30 avril 2015