FNC 2013 : Une belle ouverture décousue
par Bruno Dequen
On le sait bien, les soirées d’ouverture sont toujours un hasardeux cocktail de protocole, de discours et d’autocélébration, sans même parler du choix du film d’ouverture, qui a la lourde tâche de donner le ton du festival tout en ayant la capacité de rejoindre le plus grand monde. Un très bon film ne fait pas forcément un film d’ouverture marquant, comme nous avons pu le voir l’an dernier avec La Mise à l’aveugle qui, malgré toutes ses qualités, n’avait (volontairement) pas la carrure de l’évènement.
Cette année, pour la première fois depuis des lustres, Claude Chamberlan avait sous la main le film d’ouverture parfait pour le FNC. Avec le Triptyque de Robert Lepage et Pedro Pires, il s’assurait d’avoir le star power nécessaire, un film local attendu, et une œuvre forcément ambitieuse coréalisée par un artiste que le FNC a toujours soutenu. Une affirmation d’exigence artistique – et de programmation – fondée sur l’histoire récente du festival. Peu importe le résultat. Sur papier, c’était déjà gagnant, et il n’était pas surprenant d’entendre Chamberlan et Christian Larouche qui, pour l’occasion, avait décidé de s’habiller comme le directeur de la programmation, se féliciter du fait que le film avait été accepté en ouverture avant même que Chamberlan y jette un coup d’œil. Et le Triptyque dans tout ça ? Disons simplement pour l’instant qu’il est aussi décousu que les discours qui l’ont précédé. De beaux moments, en particulier dans sa dernière demi-heure, sont constamment ruinés par une sur-signification esthétisante qui trahit finalement les origines d’un projet qui peine à donner un véritable mouvement d’ensemble à ses trois récits. Un film trop dense d’un point de vue esthétique par rapport à son propos, finalement assez trivial, comme le souligne d’ailleurs un personnage du film. Mais surtout, un film qui cherche trop à (s’)impressionner et qui perd de vue l’émotion potentielle que pourraient générer ses personnages. En fait, Triptyque se situe à l’extrême opposé de la très sobre et magnifique carte blanche présentée précédemment. Quel beau choix d’avoir décidé de présenter First Light, le film réalisé par Mariana Gaivao pour l’ouverture ! Impressionniste, profondément sensoriel et à l’affût des mouvements intimes du monde, First Light faisait honneur à cette belle initiative des cartes blanches et nous rappelle que le nouveau cinéma ne passe pas par la technologie mais par la puissance du regard.
Et les obligations protocolaires dans tout ça ? Outre le fait que le FNC a réussi à se surpasser en terme de durée avec près d’une heure de monologues, rarement a-t-on pu assister à un tel enchaînement surréel de tons et de discours. Les invités ont été conviés à une entrée en matière en trois parties (un hommage à Triptyque ?) :
I – Nicolas Girard Deltruc contre Maka Kotto
Après les remerciements d’usage, le directeur général du FNC s’est permis une petite pique contre le manque de soutien des pouvoirs publics à la culture. Une critique que l’ancien acteur, qui est étrangement un bien mauvais orateur, et désormais politicien professionnel a manifestement mal pris, lui qui s’est lancé dans une explication détaillée visant à blâmer le précédent gouvernement et à nous (nous = électeurs) expliquer en détail l’état de la dette provinciale et le concept de redressement budgétaire. Une bien triste introduction de la part d’un ancien artiste et une tension palpable pour débuter les festivités.
II – Claude Chamberlan et Jonas Mekas
Autre dialogue de sourd, mais plus amusant cette fois, l’hommage rendu au très grand Jonas Mekas. Le meilleur moment de la soirée, pour deux raisons. D’une part, l’apparente incompréhension et désintérêt de l’illustre cinéaste pour les souvenirs communs relatés par un Chamberlan tellement heureux de rendre hommage au grand monsieur que c’en était touchant. Mais surtout, le réveil brutal et très sonore de Mekas qui, sans crier garde, s’est mis à hurler pendant deux minutes son amour du cinéma et le besoin crucial de présenter les œuvres tournées en pellicule sur pellicule. Sa ferveur déchaînée était d’autant plus drôle qu’elle eut lieu quelques minutes à peine après un discours de Pierre-Karl Péladeau vantant le travail de préservation numérique de son projet Éléphant. On se demande ce que l’entrepreneur a bien pu penser en écoutant Mekas traiter les copies numériques de simples outils de référence dignes des photographies de tableaux !
III – La bande de Triptyque
Comme toujours, la dernière partie des discours fut constituée des présentations de l’équipe du film. Totalement dominée par l’autocongratulation, cet interminable segment fut monopolisé par Lynda Beaulieu, productrice et sœur de Robert Lepage, qui avait manifestement oublié que toute l’assistance venait de subir près de 40 minutes de discours et que l’ouverture d’un festival n’est pas une remise du Jutra du meilleur film. Tout y est passé, de son expérience personnelle aux déclarations d’amour pour son frère et son mari, jusqu’aux réunions avec la SODEC et ses précédentes participations aux projets de Lepage…
Bref, le protocole est désormais derrière nous, le 42ème FNC est officiellement ouvert, et il est temps de se gâter, et les choix difficiles commencent : The Great Flood, le dernier Bill Morrison (Quartier Latin, 17h30) ou les 50 ans de l’art vidéo au Quartier Général à 18h, Diego Star de Frédérick Pelletier (Impérial à 19h) ou Ilo Ilo d’Anthony Chen, la caméra d’or de Cannes (Excentris à 19h30). Quoiqu’il arrive, ne ratez pas R 100 le dernier ovni d’Hitoshi Matsumoto, l’un des grands maîtres actuels de la comédie, qui ouvrira la section Temps Zéro à 21h30 à l’Impérial.
10 octobre 2013