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Festivals

Animafest Zagreb 2023 – Premiers jours

par Nicolas Thys

En 2022, le festival International du film d’animation de Zagreb célébrait son cinquantième anniversaire. Créé en 1972, alors que l’école de Zagreb battait son plein, il est aujourd’hui le deuxième plus ancien festival consacré au cinéma image par image et l’un des trois plus importants avec ceux d’Annecy et d’Ottawa. Si la Croatie et les Balkans ne sont pas réputés pour leur production de longs métrages animés, leurs courts sont encore aujourd’hui de haut niveau.

Dépourvu de marché du film, mais non d’événements professionnels, Animafest est resserré mais à échelle humaine, avec une programmation des plus belles et, surtout, une  ligne éditoriale, portée par Daniel Šuljić son délégué artistique, claire et propice aux découvertes. La part belle est faite au court métrage, la séance d’ouverture étant d’ailleurs la première séance de courts en compétition, sans oublier expositions, réalité virtuelle, masterclasses, invités d’exception et programmes spéciaux. Particularité, il est l’un des rares festivals intégrant chaque année une partie colloque autour de problématiques liées au cinéma d’animation.

Cette année, l’invité d’honneur était l’artiste plasticien et animateur sud africain William Kentridge. Présence exceptionnelle pour cette figure majeure de l’art contemporain qui se déplace peu dans les festivals consacrés à l’animation. Les deux premiers jours à Zagreb furent pratiquement des « Kentridge days » tant il était omniprésent. Nous l’avons même croisé expérimentant la VR sur l’énigmatique I Horizon de Paul Bush. Bien sûr, nous avons pu profiter d’une rétrospective de ses courts métrages, belle opportunité de redécouvrir une œuvre aussi rare qu’abrupte et dense, toujours indisponible en ligne ou en DVD. Politiques et radicaux, ses films évoquent l’apartheid et les injustices en Afrique du sud. En plus de ses flipbooks filmiques, étaient présentés ses œuvres réalisées au dessin au fusain, sans cesse effacé et déplacé. Ils forment comme un palimpseste où la trace est centrale. Il a également en les honneurs d’une exposition originale à la Galerie Kranjcar dans laquelle se mêlaient œuvres peintes, filmiques et, comme un hommage au précinéma, une sorte de zootrope anamorphique, mais aussi d’une masterclass qui tournait autour de la question du langage, du corps et de l’art et surtout d’une incroyable performance : Ursonate.

Ursonate est un poème phonétique composé par l’artiste Dada Kurt Schwitters. Composé comme une sonate dont le seul instrument serait la voix, il fait uniquement appel à des consonnes et des voyelles. Et debout sur scène, comme faisant un discours musical, au millimètre près et sans flancher, Kentridge récitait cette mélodie quasi « borborythmique » pendant que défilait, sur un écran en arrière plan, des boucles de plusieurs flipbooks et autres images surprenant. Le tout était accompagné par une improvisation musicale légère et discrète, arrivant petit à petit. Un heure de magie.

Ursonate

Au cours de ces premiers jours, nous avons pu nous rendre à la visite d’une magnifique exposition de Lea Vidakovic, qui remettait en scène, dans un environnement obscur et circulaire, les marionnettes et décor de son film Family portrait, et voir les œuvres en VR. Sur quatre films vus, trois déceptions dont From the main square de Pedro Harris et Thank you for sharing your world de Yu Sakudo. Les univers graphiques sont intéressants mais les éléments interactifs se révèlent accessoires et les films sont bien trop longs et lassent vite malgré des idées de départ originales. Retenons cependant le film de Paul Bush précité qui s’éloigne de ses expérimentations habituelles. Plus court, il joue la carte du minimalisme pour surprendre : au milieu d’un désert des êtres vont et viennent, selon un axe de perspective totalement inversé, et de monstrueux fantômes viennent nous hanter.

Nous avons également pu découvrir un programme de courts métrages « World Panorama » et donc hors compétition. De ce programme, nous retiendrons surtout l’excellent Hardly working de Total Refusal, groupe d’artistes à tendance marxiste, et Boys clap, girls dance de l’américaine Dena Springer. Les deux films sont esthétiquement à l’opposé l’un de l’autre puisque le premier reprend le récent jeu vidéo Red dead redemption 2 alors que le second interroge les codes déployés dans d’anciens ouvrages pour enfants et des vidéos animées typées années 1980. Hardly working se concentre sur quatre personnages non jouables (NPC) pour présenter leur quotidien en boucle avec une voix off qui exprime l’absurdité de leur existence virtuelle tout en la politisant. Le monde du jeu devient alors le reflet de notre monde où pensant agir, nous ne faisons qu’obéir. Boys clap, girls dance montre une petite fille dans un univers artificiel qui s’interroge sur son monde, son existence et cherche son chemin là où tout est un flux permanent. Le film aborde subtilement et de façon originale la question du genre et des attendus culturels et sociaux qui lui sont liés, sans voix, sans discours plombant, juste en laissant à l’intelligence du spectateur la possibilité d’apprécier ce que la réalisatrice propose.

Plus surprenant, figurait dans ce programme La Saison pourpre de Clémence Bouchereau, réalisé sur l’écran d’épingles d’Alexeieff-Parker. S’agissant de l’un des films les plus attendus de l’année, on l’imaginait concourir pour un prix. Mais sa place en panorama ne surprend guère. Loin d’être mauvais, il est juste banal – bien plus que le synopsis proposé dans le catalogue qui donne des prénoms aux enfants alors qu’ils n’ont aucune identité propre. Dans un environnement sauvage, des petites filles et des préadolescentes jouent et chassent dans l’eau comme dans la forêt. La plus âgée a ses premières règles, elle s’en va et les autres restent unies. Flotte ici comme une impression de déjà vu. Et l’utilisation de l’écran ne renouvelle ni n’apporte quoique ce soit. La mise en scène joue subtilement des contrastes, apparitions et disparitions – en dépit de quelques transitions trop brusques – mais l’ensemble reste classique. Peut-être nos attentes étaient elles trop grandes, l’instrument ayant permis sa réalisation étant aussi rare que magique. Nous le reverrons à Annecy, cette fois en compétition !

Demain, nous évoquerons la compétition, le palmarès et une masterclass de Tal Kantor.

Boys clap, girls dance


8 juin 2023