50 ans d’arts vidéo à Marseille (1)
par Philippe Gajan
50 ans d’arts vidéo à Marseille (1)
Du 7 au 11 novembre, les 26e Instants Vidéo célèbrent 50 ans d’art vidéo à Marseille.
Comment transformer en poésie, en émotion, la colère? C’est le premier vers de l’Iliade : « Chante, Déesse, la colère d’Achille ». C’est aussi la façon dont Marc Mercier a introduit la 26e édition des Instants Vidéo numériques et poétiques. Festival international d’art vidéo et multimédia d’abord localisé à Manosque, puis relocalisé à Marseille, les Instants Vidéo sont progressivement devenus nomades, établissant notamment le premier festival d’art vidéo en palestine à Ramallah.
Marseille, capitale culturelle de l’Europe, pour un temps… Un temps et un lieu que Les instants vidéo ont choisi pour célébrer (le mot n’est pas trop fort, nous y reviendrons) 50 ans d’arts vidéo, dernière étape d’un périple qui les a conduit du Japon en février à Marseille donc, en passant par la Belgique ou Ramallah justement.
Le Québec a choisi de se joindre en force à cet événement historique. Une délégation pléthorique d’une trentaine d’artistes et de responsables des centres d’artiste en arts numériques, sous le patronage bienveillant du CALQ et sous la férule non moins bienveillante du CQAM a donc convergé vers Marseille pour grossir les rangs déjà fort bien pourvus d’invités internationaux.
Alors quelques questions pour débuter. Que célèbre-t-on? La réponse de Marc Mercier :
« (M)éditorial
D’où vient l’art vidéo ?
Où en est l’art vidéo ?
Où va l’art vidéo ?
L’art vidéo fut inventé par les enfants de la seconde guerre mondiale. C’est aujourd’hui un art contemporain… des révolutions méditerranéennes et de la tragédie grecque.
L’année 1963 a été choisie comme point de départ d’une aventure qui est loin d’être terminée, en référence au geste réputé fondateur de l’art vidéo, commis par le coréen Nam June Paik qui expose treize téléviseurs préparés (Galerie Parnass de Wuppertal en Allemagne), dans le cadre de la manifestation Fluxus (Music/Electronic Television). La même année, l’allemand Wolf Vostell projette son mémorable Sun in your head et le français Jean-Christophe Averty crée un scandale télévisuel en passant un bébé à la moulinette (Les Raisins Verts, octobre 1963). »- Marc Mercier (co-fondateur et directeur artistique des Instants Vidéo, réalisateur, critique)
Voilà pour 1963 (ci-dessous deux « youtube » de ces événements fondateurs. Mais les Instants Vidéo (et Marc Mercier) ne seraient pas ce qu’ils sont si chaque réponse ne cachaient pas mille autres questions, entre autre pour invalider la réponse. On aurait pu célébrer en 2015 (1965, Nam June Paik filme la venue du Papa à New-York, la première bande vidéo tournée avec le fraîchement né Portapack de Sony et la diffuse le soir même dans le Café à Gogo), ou encore célébrer 30 000 ans d’art vidéo… Marc Mercier racontait que des paléontologues se sont longtemps posés la question de la place des peintures rupestres dans la grotte de Lascaux. Pourquoi sur cette surface et non sur une autre, quelques mètres plus loin, plus lisse et plus propice donc au dessin. La réponse pourrait être que ces peintures étaient faites pour être animées des ombres par des torches et ainsi délivrer le premier (?) « spectacle » d’images en mouvement.
On aura compris, l’art vidéo célèbre chaque année une nouvelle naissance et les possibilités de milliers d’autres. Lors d’une conférence sur les archives et l’acte d’archiver (notamment le projet pan européen Gamma), Marc Mercier parlait du devoir d’effacer plutôt que de conserver. À l’air du tout numérique, chacun d’entre nous est devenu commissaire d’un petit musée personnel, parfois inconscemment puisque toute trace, écrite ou en image, est désormais conservée par l’ordinateur et les réseaux. D’où la question aujourd’hui du rôle de l’artiste ou encore de manifestations comme un festival ou des musées. Certainement pas des « concours de beauté »… L’art, plus spécifiquement celui défendu par des manifestations comme les Instants se refusent certainement à la muséification, à l’obligation de figer le temps ou l’histoire. Ils pronent les images comme foyer d’énergie et forces insurrectionnelles (Carl Einstein). En d’autres termes le rôle de l’artiste, plus que jamais, est de créer la distance et donner du temps face à la frénésie à la réflexion critique. Alors? Célébration plutôt que commémoration, geste qui irait à l’encontre de cette réflexion en mouvement et en contexte que revendique les Instants.
8 novembre 2013