Allo Papa bobo
par Robert Lévesque
Un homme qui déterre le cadavre de sa femme pour s’enfuir avec lui, c’est un départ bizarre… On peut se demander si l’on entre dans une des histoires extraordinaires d’Edgar Allan Poe, mais on ne se le demande pas longtemps, car la suite et la constitution de ce film – À l’origine d’un cri – nous ramène à la réalité (d’un cinéma de la masculinité – masculiniste) terre à terre, puisque le déterreur n’est pas un monstre ni un fou, il a pris la route sans réfléchir après avoir mis le corps de la déterrée dans le coffre arrière de son char. Il ira ainsi de motel en motel, le cœur blessé : mille après mille, il est triste…
Ce veuf malheureux qui va errer sans but dans la belle province, jour après jour sur la route…, n’a peut-être plus toute sa tête, mais il a les deux mains sur le volant (casting idoine, l’interprète, Michel Barrette, est connu pour être un gars de char).
Va suivre ce pauvre fugitif un duo : son fils (on voit vite que c’est un insatiable coureur de filles) et son vieux malcommode de père (ex-tenancier de bar trop heureux de quitter son CHSLD). Le géniteur et le rejeton n’en reviennent pas de ce rapt de macchabée marital et ils sont décidés à aller au bout de la maudite affaire… Ni Poe, ni Freud, hélas, ne seront pris en stop dans les automobiles de ce road movie supposément funèbre et pourtant burlesque (le rire, réel besoin dans ce genre de film, c’est la soupape), et surtout simpliste, car la pourtant fantasmatique donnée de base, tout comme le cadavre de l’épouse (dont le prénom est Louange), est reléguée aux oubliettes au profit d’une virée d’hommes en chasse et en crisse ; un gars et son grand-père aux trousses du père de celui-là et du fils de celui-ci… La poursuite (ni fantastique, ni impitoyable, ni infernale, ni sauvage) mènera bien sûr le trio uni par le sang et le sexe à se tendre les mains, se resserrer les coudes, se remonter le moral, affronter les vraies affaires (mais quelles sont-elles ?, c’est là que le bât blesse, ce n’est pas clair, le cri du titre réfère à une agression sexuelle subie par le fils dans son enfance par on ne sait qui…; ce filon du viol d’enfant – qui ouvre le film – et celui du rapt de la morte – qui lance l’action – sont abandonnés en cours de route, ce scénario est particulièrement mal foutu et mal cousu, bref chez Robin Aubert, on ne s’embarrasse pas de clarté, l’important c’est la drive).
Avec À l’origine d’un cri, nous sommes devant un film québécois pure laine. Brut de cœur et d’esprit. Indigène, certes, authentique, soit, mais aussi hélas indigent. Caduc. Folklorique. Aubert brasse, comme ses ancêtres avec la braoule (1), le bien-fonds du Québécois de souche française qui, depuis Louis Hébert, ne l’a jamais eu, ni ne l’aura jamais facile, la maudite vie d’icitte…, autrement dit la maudite marde (comme dans le refrain à la mode ma vie c’est d’la marde). Héritage antique et sourd qui charrie un complexe d’infériorité, l’impossibilité de la grâce, le manque de culture, le trop-plein de rancœur, le cou raide et le cœur gros, le vieux chagrin et le p’tit pain, le bonheur d’occasion, la p’tite vie, et la bonne grosse cuite à la bière pour faire passer le gros du bobo.
Ce film brut de décoffrage est la quintessence du film de gars pour gars : pendant que l’épouse cadavérisée passe du coffre arrière à la baignoire de motels de hasard, le veuf éploré, enfin réuni avec son fils immature et son père magané, passe de la confrontation des sacres bien sentis à l’apaisement final, la gueule cognée, mais la tête haute.
Si ce n’était de la possibilité de souffrir de la comparaison, ce film de Robin Aubert aurait pu avoir pour titre « Hommes entre eux », en clin d’œil à Femmes entre elles d’Antonioni. Il s’agit, au fond, de la difficulté des rapports humains, mais on ne saurait comparer le réflexe viscéral d’un homophile brut avec la réflexion subtile d’un moraliste aguerri. On peut voir néanmoins À l’origine d’un cri le 12 août à 21 heures sur Télé Québec et en apprécier l’énergique direction d’acteurs (en loque humaine, Jean Lapointe est au-dessus de tout éloge…), le meilleur atout dans la manche retroussée de Robin Aubert, ce comédien qui a tourné le dos au métier de la scène et qui aspire furieusement à devenir cinéaste. Il pourrait y arriver. En soignant ses revers de scénario.
(1) Braoule (selon le Dictionnaire Larousse des canadianismes de Gaston Dulong) : sorte de pelle-cuiller à long manche utilisée pour la vidange des puisards. On dit aussi gargouche, micouenne ou mouvette.
La bande-annonce d’À l’origine d’un cri
8 août 2013