Assassinés et électrocutés
par Robert Lévesque
Moi itou, comme tout Occidental né dans les années quarante ou avant, je me rappelle parfaitement de la circonstance précise où j’ai appris la mort de JFK. J’étais avec ma copine un peu trop fana d’Anaïs Nin (y en a-t-il encore de nos jours qui décortiquent son Journal ?), il y avait Michel et Hélène, nos amis, qui étaient amoureux, et tous les quatre ce vendredi midi là, nous avions de façon inaccoutumée pris un taxi pour rentrer de l’université Laval vers le Vieux-Québec où l’on était si bien dans nos thurnes pas chères rue d’Auteuil, rue des Remparts, rue Couillard (rues tranquilles des premiers romans de Jacques Poulin), un monde ancien qui n’avait rien à voir avec ce boucan urbain que deviendrait le Vieux-Québec d’aujourd’hui, la ville touristique et sans cinémas dont le maire est un malotru. En 1963, le maire était un homme circonspect qui avait été ministre des Terres et Forêts dans le gouvernement Adélard Godbout, c’était monsieur Wilfrid Hamel. Il a depuis longtemps son boulevard…
Donc, dans ce taxi, Michel, Hélène, Lucie et moi, on devait causer du roman lu par l’un ou l’autre et du film à voir à l’Empire, rue de la Fabrique, mais impossible de m’en souvenir car soudain, il se passa ceci au coin du Chemin Sainte-Foy et de la rue Belvédère : le chauffeur dont la radio était allumée à basse fréquence monta d’un coup le volume et la voix du journaliste Saint-Georges Côté (le Walter Cronkite de CHRC) rapportait, la répétant, la stupéfiante nouvelle de la mort du président Kennedy tiré à bout portant à Dallas il y a quelques minutes… Après le choc, notre sentiment en fut un de grande excitation politique… Je me souviens qu’arrivés au carré d’Youville, on voyait déjà, comme dans des actualités filmées de la guerre 39-45, des vendeurs tenant à bout de bras une pile d’une édition spéciale du Soleil et l‘offrant à la criée, la une barrée de grandes lettres noires : KENNEDY ASSASSINÉ. Puis, le flou…
Avec celle du président Kennedy, l’autre mort dont la nouvelle me reste gravée aussi précisément dans la mémoire, c’est celle, – mais comment aller m’en vanter? -, du chanteur français Claude François. Pourquoi ? Je n’étais pas un fan, loin de là, je n’avais jamais pensé acheter un de ses 33 tours ; avec ses Clodettes, il représentait le « quétaine » français dans son plus clinquant (on ne disait pas bling bling à l’époque). Est-ce pour cela ? Sans doute est-ce à cause du côté banal et pourtant épouvantable de son décès : par inadvertance, mourir électrocuté dans son bain. Il allait rajuster l’applique électrique un tout petit peu de traviole (chez les spécialistes du type, il y a une exégèse de sa maniaquerie) et ses doigts touchèrent le cuivre de fils en partie dénudés.
Ce samedi-là, j’étais en voiture avec des copains, nous étions partis tôt pour un week-end au lac du côté de Saint-Michel-des-Saints et la radio jouait à fond, lorsqu’à neuf heures pile, un bulletin spécial de Radio-Canada nous apprit le décès à 39 ans de Claude François, dans sa baignoire, victime d’une décharge électrique. Je me souviens de l’étonnement et du fait qu’on avait un peu ri tout de même… En prenant son bain, le Cloclo ! C’était le 11 mars 1978, j’avais 34 ans, j’étais au chômage et j’écrivais avec un copain une biographie de Camillien Houde que l’on allait publier à compte d’auteurs…
Les nostalgiques du chanteur d’Alexandrie Alexandra et de Belles ! Belles ! Belles ! ont maintenant leur biopic, titré Cloclo, de Florent Emilio Siri ; ils pourront le voir et le revoir à Super Écran le 7 décembre à 13h 15 et 23h 30. Le comédien belge Jérémie Renier a la gueule de l’emploi, beau blanc blond.
L’industrie ne reculant jamais devant rien, tout le monde ou presque (avec un peu d’effort dans la gloire ou les déboires) a eu ou aura son biographic picture. Depuis l’invention du cinématographe, le biopic en est l’une de rayons, de L’assassinat du duc de Guise d’André Calmettes au Sacco et Vanzetti de Giuliano Montaldo, de Pasteur à Jobs, de Sœur Sourire à Diana, du Docteur Petiot à Tolstoi, le dernier automne, tous y passent – et pas que les assassinés tel Trotski et les électrocutés tels les époux Rosenberg – , tous y passeront… Je vois d’ici de futures affiches locales : La Poune…, Mad Dog…, le Céline en 3-D.
Le genre, je vous l’accorde, est de nature hagio-soporifique (les exemples québécois confirment – du frère André à Alys Robi, d’André Mathieu à Monique Proietti à Gerry Boulet à Louis Cyr) sauf quand il y a l’exception, quand David Lean signe un Lawrence d’Arabie, Scorsese un Raging Bull sur Jack La Motta, ou Pialat un Van Gogh…
En janvier 2014, les amateurs de cinéma salace auront même droit à Lovelace, le biopic tardif de la goulue vedette de Deep Throat, Linda Lovelace.
La bande-annonce de Cloclo
28 novembre 2013