Bonnie, Clyde, Bowie, Keechie et les autres …
par Robert Lévesque
Bonnie and Clyde, le chef-d’œuvre d’Arthur Penn, aurait pu être un film de Truffaut. Aurait-ce alors été un chef-d’œuvre de Truffaut ? Il y a de ces questions qu’on jugera futiles mais qui, parfois, moi qui aime les films non faits, me tarabustent ; la réponse que l’on pourrait tenter d’y apporter nous entraînerait cependant dans des considérations à n’en plus finir, on y perdrait son esperanto… Ne la posons donc pas, ce sera moins embêtant.
Mais le fait est que François Truffaut a failli s’accaparer du scénario de David Newman et Robert Benton que la Warner Bros lui proposa vers le milieu des années soixante quand, La peau douce mise en boîte et lui en panne, il hésita un temps entre se lancer dans l’ambitieux et problématique Fahrenheit 451 ou accepter cette subite proposition des Américains qui avaient sans doute aimé le coup du couple aimant qui se suicide à la fin de Jules et Jim… Plus sûr de lui (et moins pressé) que nos Villeneuve, Falardeau et Vallée, Truffaut ne donnera jamais son âme (et son art) à gruger au molosse hollywoodien (quoiqu’il prêta son corps pour jouer un savant français dans Close Encounters of the Third Kind).
Un temps séduit, tout de même ; selon ses biographes de Baecque et Toubiana, il aurait, pour le rôle de Bonnie Parker, songé à Jane Fonda (autant vedette française grâce aux Vadim, La Ronde, La Curée, Barbarella, qu’actrice américaine) ; et puis la Warner, pour qu’il en fasse peut-être son Clyde Barrow, lui organisa un déjeuner avec Warren Beatty qui fut très viande froide et express court. Le frère de Shirley MacLaine, qui avait 30 ans, ne lui plaisait pas, mais vraiment pas. Il dira plus tard, incluant Marlon Brando dans le lot (et on se demande pourquoi) : « Mieux vaut ne pas tourner que tourner avec ces gens-là ».
La Warner rapplique ? Il exige un salaire personnel de $80,000 (on est en 1965) et, foin de Fonda, il voudra alors pour Bonnie la Canadienne Alexandra Stewart qu’il a entre-temps rencontrée, et qu’il fait tout pour séduire, l’appelant, en clin d’œil à Visconti, « ma Sandra, ma vague étoile »… Pour jouer Clyde, la Warner avance alors le nom de Paul Newman que Truffaut refusera net, too big, et, sur ces entrefaites, Beatty (pour emmerder ce Truffaut ?) rachète le scénario, décide de produire le film et en confie le tournage à Arthur Penn avec qui il vient de terminer Mickey One. Et voilà pourquoi votre fille est muette…
Le mythe des amants maudits doublé de celui des hors-la-loi jeunes et beaux, le couple entré dans la catégorie supérieure des gangsters, souvent des accusés à tort qui, évadés, persistent et signent envers et contre tout et dont la cavale les rendra au surplus célèbres, sinon admirés, voilà (entre nous, on peut se le dire) un sujet qui convenait mieux à un cinéaste du chaos et de la marginalité comme Arthur Penn qu’à celui du consensus et d’un nouvel académisme (qui sera si décrié par son ami Godard) comme le devint le cinéaste des Baisers volés et de La Nuit américaine (dont Tirez sur le pianiste fut à ses débuts la seule exception d’œuvre noire à l’américaine).
Je recommande à ceux qui se taperont (pour la première fois ou à nouveau) le Bonnie and Clyde d’Arthur Penn (à Télé Québec le 8 novembre à 22 heures 30) et qui l’aimeront enfin ou encore (car ce film est magnifique, sa finale – la fusillade au ralenti des amants dans leur bagnole – est entrée au panthéon des grandes séquences du cinéma, telle celle de la douche que prend Janet Leigh dans Psycho), d’aller faire un tour si possible du côté de deux films frères de celui d’Arthur Penn, They Live by Night ou Les amants de la nuit, le film de Nicholas Ray sorti en 1947, et You Only Live Twice ou J’ai le droit de vivre de Fritz Lang tourné en 1937.
Ces deux classiques, sans être des adaptations de la vie du couple Bonnie Parker et Clyde Barlow, sont des déclinaisons dudit mythe du couple poursuivi, en cavale fatale. À partir d’un roman de Edward Anderson, Nick Ray, avec Farley Granger et Cathy O’Donnell, met en scène un évadé injustement condamné, Bowie, qui va se lier avec une fille, Keechie, la marier, lui faire un enfant et s’enfuir avec elle sur les routes pour finalement se faire rattraper par les flics qui vont abattre Bowie, laissant la vie sauve à sa femme en cloque. Altman, en 1974, avec Keith Carradine et Shelley Duvall, en a fait un remake sous le titre Thieves like us (ou Nous sommes tous des voleurs).
Le Fritz Lang, lui, pour son second film tourné aux USA, met en scène, dans une tonalité évidemment plus fatale et désespérée, Henry Fonda (Eddie Taylor) et Sylvia Sidney (Joan). C’est aussi un type accusé à tort qui va essayer en vain de se réinsérer, alors que seule sa femme, convaincue qu’un innocent n’a rien à craindre, lui fait confiance. Dans leur cavale, Eddie Taylor va tuer un prêtre et la chasse à l’homme va en devenir plus féroce. Ils ne feront des braquages que pour obtenir de l’essence, des vivres, des médicaments, mais le couple maudit va devenir célèbre, la presse va s’emparer d’eux, si l’on peut dire, et en faire de grands desperados, de véritables héros populaires qui seront arrosés d’une pluie de balles à la frontière du Mexique…
Quant à Bonnie Parker, ce ne furent pas Jane Fonda, ni Alexandra Stewart, qui l’incarnèrent mais (grâces soient rendues au ciel, et à Kazan qui la suggéra à Penn) la débutante Faye Dunaway qui devint illico une star, ratant l’Oscar mais pas la célébrité, et dont l’on n’oubliera jamais et la beauté et le béret…
La bande-annonce de Bonnie and Clyde
6 novembre 2014