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Chroniques

Ce mystère d’Antonioni

par Robert Lévesque

Oberwald est le nom d’un château d’Europe centrale dans un État non précisé, un château imaginaire dans lequel se désole une jeune reine, veuve, volontairement cloîtrée, dont un bel anarchiste et par ailleurs poète, venu pour la tuer au nom d’un idéal politique, va tomber fatalement amoureux. Et ce sont les deux qui mourront à la fin.

On reconnaît là grosso modo l’intrigue de la pièce de Jean Cocteau, L’Aigle à deux têtes, qui se déroulait, elle, dans le château tout aussi imaginaire de Krantz, car ce mélodrame évoquant de manière fantasque l’impératrice d’Autriche Élizabeth de Wittelsbach (bien loin des Sissi rococos de Romy Schneider) n’a rien à voir avec l’histoire officielle, mais tout avec l’occasion d’un duo d’acteurs ; Edwige Feuillère et Jean Marais du temps de Cocteau (la création eut lieu au Théâtre Hébertot en novembre 1946, son adaptation au cinéma suivit dès 1947), Monica Vitti et Franco Branciaroli (1) dans le film d’Antonioni, Le mystère d’Oberwald (sorti sur les écrans italiens en 1980 et pas trop mal reçu en sélection officielle à la Mostra).

Antonioni chez Cocteau, vous me direz, ce n’est pas évident. Que diable le cinéaste du Cri et de L’Éclipse allait faire dans cette galère romantique propre à l’outrance des sentiments et à l’esthétisme de leurs expressions ? Que cherchait le maître de l’incommunicabilité dans le genre du mélodrame phrasé… ?  Je ne peux répondre, je n’ai jamais vu ce film, il n’existe pas en copie DVD (mais on annonce une sortie pour septembre prochain, le 18), j’ai cassé depuis longtemps mon appareil à visionner des cassettes VHS, mais nous le verrons ensemble sur TFO le 26 juillet à 21 heures.

L’historien du cinéma Aldo Tassone, dans son ouvrage de 1985 sur Antonioni, I film di Michelangelo Antonioni (traduit en 1995 chez Flammarion, coll. Cinémas), dit que ce téléfilm expérimental représente en soi un mystère… Le cinéaste de L’Avventura, qu’il s’étonnait de voir s’aventurer dans un sujet d’époque, et dans un film en costumes, suggérait parfois ceci : le mystère c’est peut-être pourquoi j’ai fait ce film… Pourquoi ? Tassone avance qu’Antonioni aurait tourné Le mystère d’Oberwald pour faire plaisir à Monica Vitti à qui la RAI avait proposé de jouer L’Aigle à deux têtes. Et que la Vitti voulait Michelangelo ou personne. En 1980, le cinéaste et son actrice emblématique – son égérie – n’avaient pas travaillé ensemble depuis Il deserto rosso sorti en 1964, donc depuis 16 ans. Ce sera leurs retrouvailles et la dernière collaboration, la cinquième, hors cycle ; et le dernier hymne antonionien à la beauté de Monica Vitti, qui avait alors 49 ans.

Outre la grâce amicale et professionnelle de se remettre au boulot ensemble, l’un au service de l’autre et vice versa, le reste est de l’ordre de l’expérimentation technique. Antonioni se faisait aussi plaisir à lui, selon Aldo Tassone, en composant avec des caméras de la télévision (Rossellini était passé royalement par là avec La prise du pouvoir par Louis XIV en 1966) tout en gardant son style, son écriture, sa signature, des séquences au rythme lent, un climat de désarroi, la musique de Schönberg, celle de La Nuit transfigurée. Il était curieux de voir ce que donnerait le report sur pellicule des effets chromatiques obtenus électroniquement, expérience nouvelle à l’époque pour un film de longue durée. Tassone conclut cependant que l’expérience tentée n’est qu’en partie réussie.

Ajoutons qu’au scénario c’est Tonino Guerra qui, avec Antonioni, adapta pour le grand écran la pièce de théâtre de Cocteau, ajoutons aussi que c’est l’avant-dernier film du maître avant son grave accident de santé de 1985 qui le diminua grandement, ajoutons enfin qu’il y a toujours un frisson qui passe et demeure quand apparaît Monica Vitti à l’écran, et attendons de voir ce film à part dans l’œuvre d’un grand maître, ce mystère d’Antonioni.

(1)    Oublié au cinéma, Franco Branciaroli est un comédien de théâtre formé à l’école du Piccolo Teatro de Milan. En 1970, il était de la distribution de Toller, de Tankred Dorst, la seconde des quatre mises en scène que Patrice Chéreau signa au fameux Piccolo de Giorgio Strehler.

Ava encore

De passage à Londres, un été du début des années 1980, Tennessee Williams souhaite (désire ?) rencontrer sa Maxine de La Nuit de l’iguane. Il connaît le voisin qui habite au-dessus de chez elle, au 34 Ennismore Gardens. Celui-ci lui indique qu’à l’interphone, dans le hall, elle est identifiée sous le nom de Morgan, son chien, un corgi. Il sonne et Ava, qui répond au bout de longues secondes, va parler avec lui durant quatre minutes, sans l’inviter à entrer.

 


26 juillet 2013