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Chroniques

Cinéphilie de confinement II

par Alexandre Fontaine Rousseau

9 avril 2020
King Kong vs. Godzilla, Ishiro Honda (1962)

 Depuis le début de toute cette histoire, mon coffret Criterion de l’intégrale des Godzilla de l’ère Showa me regarde avec un petit air de défi. Il m’incite à tout abandonner. Il voudrait que je cède définitivement à la tentation de me réfugier dans un marathon de films de lézards géants. Amenez-en, du confinement! J’ai vingt ans de Godzilla à regarder. « Ça va bien aller », certain!

Mais voilà. On n’échappe pas au monde, même dans le kaiju eiga. Dès les premières scènes de King Kong vs. Godzilla, le président d’une compagnie pharmaceutique se plaint de l’ennui inspiré par une émission scientifique qu’il commandite, celle-ci avertissant le public du danger que représente la fonte des glaciers. Ça n’intéresse personne, affirme-t-il, et l’impact publicitaire est à l’avenant. Ce que les gens veulent, c’est du spectacle.

Jusqu’à aujourd’hui, je n’avais vu de ce film que sa médiocre version nord-américaine. Non content de gâcher le rythme de l’original en ponctuant le récit d’inutiles bulletins de nouvelle résumant constamment la situation, le montage américain de King Kong vs. Godzilla en désamorce toute l’ironie. Le film de Honda possède une dimension satirique indéniable : même son racisme exubérant semble souligner la condescendance colonialiste du récit d’aventure classique. Ce que la version US trouve le moyen d’ignorer. Au profit du spectacle, évidemment. 

 

10 avril 2020
Mothra vs. Godzilla, Ishiro Honda (1964)

King Kong vs. Godzilla se terminait, plutôt gratuitement, sur cette conclusion : l’humanité doit apprendre des monstres géants et s’adapter à son environnement. La leçon s’avère indéniablement sage, à défaut d’être particulièrement méritée. À bien y penser, je ne saurais trop dire d’où elle sort, dans le contexte particulier de ce film. Mais qu’à cela ne tienne. Reste que c’est vrai. L’humanité devra bien, un jour ou l’autre, en prendre note.

Si le premier Godzilla s’impose à mon avis comme l’une des plus belles fables du XXe siècle sur la responsabilité de l’espèce humaine face aux horreurs qu’elle a déchaîné, force est d’admettre que le discours de ses innombrables suites est un peu plus bancal. Prenez Mothra vs. Godzilla, par exemple. On y retrouve, éparpillés un peu n’importe comment, certaines des idées abordées par le chef-d’oeuvre de 1954. Mais le souffle tragique n’y est plus. 

Quand même, il se dégage une certaine poésie de tout ça. La noble Mothra, notamment, trouvera toujours le moyen de m’émouvoir. Mais, confinement oblige, ce qui me touche le plus aujourd’hui c’est la solitude que doit ressentir ce bon vieux Godzilla. Ce n’est vraisemblablement pas de sa faute si ses grands pieds piétinent toujours les bâtiments plantés partout par l’Homme. Et quand il finit par débouler en bas d’une pente, emballé dans un cocon géant, j’éprouve surtout de la sympathie pour lui. Pauvre Godzilla, pareil.

 

11 avril 2020
Ghidorah, the Three-Headed Monster, Ishiro Honda (1964)

 À chaque matin, depuis maintenant trois jours, je regarde des petites fins des temps se déployer sur mon écran. Des apocalypses imaginaires, évitées de justesse par l’humanité. Cette routine crée de l’ordre. Elle structure mon quotidien, y rétablissant par des moyens artificiels un semblant de normalité. Au fond, ce n’est qu’une illusion. Mais le rituel n’est pas pour me déplaire et, dans de telles circonstances, je ne saurais bouder le plaisir de la répétition.

Car ces films, il faut bien l’admettre, se ressemblent les uns les autres. Ce qui me fascine, au gré des épisodes, c’est la manière très précise dont Ishiro Honda en vient à établir une esthétique de la panique à travers sa mise en scène. Une méthode particulièrement bien codifiée de filmer le mouvement des masses paniquées. Chez Honda, la catastrophe est un phénomène que l’on appréhende toujours en des termes collectifs. 

Même les monstres, d’ailleurs, s’unissent ici pour affronter la menace cosmique. Ghidorah, the Three-Headed Monster est en effet le premier film de la franchise dans lequel Godzilla devient un protecteur de l’espèce humaine en acceptant de se battre aux côtés de Rodan et de Mothra afin de repousser King Ghidorah. Nous sommes samedi matin et j’ai subitement l’impression d’être un enfant regardant, comme à chaque semaine, ses dessins animés. 

 

12 avril 2020
Invasion of Astro-Monster, Ishiro Honda (1965) 

Mon ami Dominic me dit que, depuis le début du confinement, il ne regarde plus que des vieux matchs de lutte. Comme s’il avait à nouveau dix ans. S’agit-il d’une sorte de régression temporaire, d’un réflexe de survie face à l’ampleur de la crise? Chose certaine, ces films de monstres géants s’enchaînant sont mes matchs de lutte à moi. Tout, dans leur régime esthétique, renvoie au domaine de l’enfance.

 La plasticité des trucages, dans l’oeuvre de Ishiro Honda, relève à mon sens du sublime. Il y a, dans sa manière de filmer les effets spéciaux de Eiji Tsuburaya, un sens de l’émerveillement qui renvoie à l’essence même du cinéma de divertissement. Invasion of Astro-Monster, à cet égard, est d’autant plus généreux que sa prémisse de science-fiction implique que la moindre séquence d’exposition un peu plate se déroule dans un décor fantastique.

Honda lui-même en aura assez de Godzilla et sera remplacé par Jun Fukuda pour les deux prochains volets de la série. On peut comprendre qu’à ce point-ci dans son évolution, la franchise n’avait plus grand chose à voir avec sa vision originale. Mais mon enthousiasme, pour sa part, ne s’épuise pas. Je trépigne encore de joie tel un gamin dès que j’entends le thème composé par Akira Ifukube. Et quand je serai grand, je veux être le gars dans le suit de Godzilla.


13 avril 2020