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Chroniques

Cinéphilie de confinement III

par Alexandre Fontaine Rousseau

14 avril 2020
House, Nobuhiko Ōbayashi (1977)

 Le grand Nobuhiko Ōbayashi nous a quitté le 10 avril dernier à l’âge de 82 ans, emporté par un cancer du poumon dont il parlait déjà dans son avant-dernier film Hanagatami. Cinéaste culte dont l’oeuvre existe à la jonction de l’avant-garde et de la culture pop, Ōbayashi est surtout connu du public pour House – histoire de maison hantée poétique et saugrenue dans laquelle un piano possédé mange des mains et une tête volante croque des fesses. Entre autres choses. 

On a beau se souvenir de House comme du film le plus fou que l’on ait vu de toute notre vie, on finit toujours par oublier à quel point il est inventif et exubérant jusqu’à ce qu’on le revoit. C’est comme si, à chaque plan, Ōbayashi avait voulu créer de toutes pièces une nouvelle manière de faire du cinéma. La nostalgie émue coexiste ici avec l’horreur et l’hilarité, le montage orchestrant sans relâche une surcharge sensorielle et émotionnelle jubilatoire.

Plus que tout autre film que j’ai pu regarder depuis le début du confinement, House me rappelle que le plaisir du cinéma passe aussi par son partage. Chaque image me donne le goût de hurler mon émerveillement en choeur avec quelqu’un. Après vingt minutes, je ne sais déjà plus trop comment contenir mon enthousiasme et mon chat commence à me regarder avec un drôle d’air. Vivement la fin de tout ça, pour qu’on puisse revoir des films ensemble.

 

17 avril 2020
The Drifting Classroom, Nobuhiko Ōbayashi (1987) 

L’image, chez Nobuhiko Ōbayashi, a toujours possédé la texture de l’illustration. Dix ans après avoir adapté le Black Jack de Osamu Tezuka avec The Visitor in the Eye, le cinéaste transposera un autre classique de la bande dessinée japonaise au grand écran avec The Drifting Classroom. Mais soyons clairs. Ce long métrage drôlement décousu est au manga de Kazuo Umezu ce que le Dune de David Lynch est au roman de Frank Herbert.

Ōbayashi trouve tout de même le moyen d’esquisser les contours d’une oeuvre plus personnelle à l’intérieur de cette étrange entreprise commerciale, qui donne par moments l’impression que l’on regarde un croisement entre The Goonies et Lord of the Flies. Par-delà son extravagance visuelle, en effet, le film permet au cinéaste de renouer avec ses réflexions mélancoliques sur le passage du temps à travers une histoire de voyage dimensionnel.

Voici d’ailleurs un autre récit fantastique dont les enjeux m’apparaissent aujourd’hui parfaitement plausibles, alors qu’ils m’auraient semblé saugrenus il y a à peine quelques mois. Confinés dans leur école, au beau milieu d’un désert infini, les élèves regardent les jours passer en perdant le fil des heures. Une journée devient un mois, sans que l’on comprenne trop comment cela est arrivé. Le temps, chez Ōbayashi, est une matière imprévisible – de même que la source intarissable d’une profonde tristesse.

 

17 avril 2020
School in the Crosshairs, Nobuhiko Ōbayashi (1981)

Pendant environ une heure, School in the Crosshairs a des allures de film « relativement » normal. J’utilise les guillemets parce qu’on a tout de même droit, ici et là, à des numéros de danse impromptus ainsi qu’à d’étonnantes démonstrations de pouvoirs psychiques. Mais Ōbayashi y fait globalement preuve d’une certaine réserve, pigeant dans les codes du soap opera qu’il affectionne tant tout en les parasitant d’un humour cabochon habilement dosé.

Contrairement à House, qui est délirant d’un bout à l’autre, School in the Crosshairs repose plutôt sur une escalade mesurée de l’étrange. Une progression qui fait écho à l’un des principaux thèmes du film, la prétendue défense du bien commun dont on se sert pour faire accepter des dérives totalitaires. Ici, l’amélioration des résultats académiques devient une manière de justifier que les corridors de l’école soient patrouillés par une milice étudiante d’allure franchement fasciste.

Puis les vingt dernières minutes du film débarquent telles une formidable déflagration psychédélique afin de balayer sur leur passage tout semblant de réalisme. L’affrontement final se déroule dans une dimension cosmique où toutes les audaces esthétiques sont permises. Comme si la charge anti-autoritaire du film ne pouvait s’exprimer totalement qu’à travers l’éclatement des conventions formelles et l’abandon de la logique. Il faut le voir pour le croire et, à vrai dire, on n’est pas trop sûr d’y croire après l’avoir vu.

 

18 avril 2020
Sailor Suit and Machine Gun, Shinji Sōmai (1981) 

Hiroko Yakushimaru, qui jouait dans School in the Crosshairs, tient aussi la vedette d’un autre film réalisé la même année : Sailor Suit and Machine Gun de Shinji Sōmai. La jeune actrice incarne, cette fois-ci, une adolescente qui hérite d’un clan de yakuza sur le déclin suite au décès de son père et de son grand-oncle. Une prémisse parfaitement absurde que Sōmai trouve le moyen de traiter avec un sérieux implacable, malgré quelques touches d’humour pince-sans-rire.

Sailor Suit and Machine Gun compte, comme l’indique son titre, une parfaite scène culte impliquant une écolière et une mitraillette. Mais Sōmai déjoue nos attentes en livrant au final un coming of age d’une étonnante sensibilité, plutôt que le film d’action aux relents d’exploitation auquel nous pensions avoir droit. Izumi est une jeune fille ordinaire qui est propulsée, de manière un peu précipitée, vers l’âge adulte; seules les circonstances, au fond, rendent ce récit improbable.

Porté par une direction photo impeccable, ce long métrage a tout d’une découverte que je ferais normalement au détour d’une programmation de Fantasia. Mais voilà. Le monde n’est plus ce qu’il était et je m’imagine déjà un été sans ce festival et sans toutes les traditions qui viennent avec. Cette année, il faudra faire autrement. Nous ferons de nos appartements des cinémathèques. Nous inventerons nos propres programmations. Je le découvre, par les temps qui courent, que la cinéphilie survit aux circonstances exceptionnelles.


20 avril 2020