Je m'abonne
Chroniques

Cinéphilie de confinement VIII

par Alexandre Fontaine Rousseau

22 mai 2020
The Black Falcon, Takumi Furukawa (1967)

Dans mon entourage, les gens semblent avoir profité du confinement pour faire un grand ménage et mettre de l’ordre dans leurs affaires. Je n’ai pas eu la discipline de fer nécessaire pour faire une Marie Kondo de moi, mais j’ai fait un effort pour classer tous les films qui traînaient à gauche et à droite – ce qui m’a permis de redécouvrir trois ou quatre trucs dont j’avais oublié jusqu’à l’existence. C’est comme ça que je tombe sur The Black Falcon. 

Tourné pour le compte de la Shaw par Takumi Furukawa, vétéran de la Nikkatsu ayant notamment réalisé le très bon Cruel Gun Story de 1964, ce pastiche de James Bond « made in Hong Kong » par un cinéaste japonais a tout pour piquer ma curiosité. J’ai toujours eu un faible pour ces innombrables films d’espionnage agréablement médiocres dont le meilleur moment est généralement le générique d’ouverture aussi prometteur que trompeur. 

Celui-ci ne fait d’ailleurs pas exception à la règle. Tous les éléments familiers sont là, mais rien n’est tout à fait sur la proverbiale coche : notre agent secret manque cruellement de charisme et les intentions de l’organisation à laquelle il fait face demeurent étrangement nébuleuses jusqu’à la toute fin du film. On ne comprend donc jamais vraiment pourquoi un tel et un tel s’échangent des taloches sur fond de cuivres tonitruants. 

Après une heure, j’avais donc accepté qu’aucun enjeu dramatique tangible n’émergerait de cette succession de scènes reprenant sans logique sous-jacente les grandes lignes du genre et qu’il ne servait à rien de chercher le lien les unissant les unes aux autres. The Black Falcon est un vrai de vrai film d’après-midi paresseux, un complément naturel à la torpeur d’un vendredi chaud qu’on passe écrasé sur le divan à combattre l’appel invitant de la sieste.

 

23 mai 2020
Silence Has No Wings, Kazuo Kuroki (1966) 

Ce n’est pas toujours facile d’écrire sur le cinéma. On se bute, tout d’abord, à la difficulté de trouver la formule juste pour décrire ce que l’on voit sans tomber dans la simple description. Mais le plus dur, c’est peut-être de naviguer à travers ce champ de mines de clichés épuisés qu’est la critique de cinéma elle-même. On a parfois l’impression que la moitié des expressions à notre disposition ont été vidées de leur sens au fil du temps par leur emploi récurrent et mal avisé.

C’est notamment le cas du premier terme qui me vient à l’esprit pour parler de Silence Has No Wings : poétique. Qu’est-ce que ça signifie, au fond, quand on dit d’un film qu’il est « poétique »? Qu’on est à court de mots pour parler d’une oeuvre à la beauté absconse et qu’on opte finalement pour le lyrisme douteux afin de la définir? En plus de ne rien dire, on finit par réduire la poésie aux lieux communs qui sont entretenus à son sujet.

Pourtant, la première fiction du documentariste japonais Kazuo Kuroki est indéniablement poétique. Par sa manière d’agencer les idées, les images entres elles. Par son emploi de la métaphore, par sa construction même et son recours à la rime. Par la logique de son montage et la liberté de son écriture. Par la beauté de ses images, qui nous rappellent jusqu’à quel point le cinéma peut reposer sur la photographie pour créer du sens et générer des sensations. 

Silence Has No Wings est donc un long poème filmé, hanté par la culpabilité de la Seconde Guerre mondiale et par le souvenir traumatique d’Hiroshima. Une oeuvre impressionniste, racontée à hauteur d’insecte, sur le rapport qu’entretient le Japon avec son propre passé, mais aussi avec l’avènement de sa modernité dans les années 60, ayant l’ambition (c’est le cas de le dire) de cristalliser l’âme d’une nation et de sublimer ses angoisses. 

 

24 mai 2020
Chan Is Missing, Wayne Wang (1982)

D’une toute autre manière, Chan Is Missing est encore un film dont la forme s’avère remarquablement libre. Je découvre l’existence de celui-ci en le voyant passer sur Letterboxd, où mon ami David le compare notamment aux premiers Jarmusch en me faisant ainsi miroiter la promesse d’un obscur Stranger Than Paradise sino-américain. Il ne m’en faut évidemment pas plus pour qu’il se hisse au sommet de ma liste de priorités cinéphiles. 

Tourné pour la modique somme de 22,000$, ce faux film noir se sert de l’enquête que mènent deux chauffeurs de taxi de San Francisco afin de dresser un portrait de la communauté chinoise en Amérique. Réflexion sur l’intégration et l’identité, Chan Is Missing utilise le motif de la disparition comme métaphore d’une condition incertaine : celle de « l’immigrant » qui ne l’est plus vraiment, ne se sentant chez lui ni dans son pays d’origine, ni dans sa terre d’accueil.

 La question est abordée à travers une série de témoignages qui ne mènent pas toujours quelque part, mais se complètent les uns les autres jusqu’à ce qu’un discours émerge de cette accumulation de points de vue parfois divergents. Si Wayne Wang s’attelle à la tâche de démanteler certains stéréotypes, il semble surtout s’opposer à cette idée d’une communauté ethnique définie comme un bloc monolithique. 

Malgré sa complexité intrinsèque, le sujet est traitée avec humour et légèreté. Le charme du film repose d’ailleurs en bonne partie sur le charisme de ses deux interprètes principaux, Wood Moy et Marc Hayashi, qui forment un duo comique particulièrement convaincant malgré leur nonchalance assumée. Une autre belle découverte, qui me donne envie de donner une chance à l’oeuvre de ce cinéaste que je ne connaissais finalement que de nom.


25 mai 2020