CLAUDE FOURNIER (1931-2023)
par Robert Daudelin
Sa voix était reconnaissable entre toutes et, à 92 ans, il avait encore cet air d’enfant terrible que nous lui avions toujours connu. Il était né à Waterloo, une petite ville voisine de mon village qui avait un cinéma (le Star) et qui accueillait, chaque automne, l’exposition agricole régionale. Était-ce pour ces raisons qu’il était devenu cinéaste, après avoir été poète…?
Déjà caméraman quand il entre à l’ONF à la fin des années 1950, il va être étroitement associé aux expériences du cinéma direct qui rassemble alors les forces vives du cinéma québécois naissant. Télesphore Légaré, garde-pêche (1959), qu’il réalise avec la complicité de Michel Brault à la caméra, est l’une des vraies réussites de l’équipe française naissante. Deux ans plus tard, on retrouve son nom au générique de La lutte, projet collectif dont il réclamera ultérieurement la paternité – un peu abusivement, sans doute, mais il y mettait beaucoup de conviction!
Sa carrière, multiple et inclassable, était lancée et son nom sera désormais étroitement associé à toutes les aventures du cinéma québécois : des expériences du cinéma direct à la naissance des premières sociétés de production, en passant par les fictions grand public et les séries télévisées. Il adorait filmer – ces dernières années, c’est avec son téléphone qu’il filmait – et c’est en tant que caméraman qu’il s’exila à New York en 1962 pour y travailler au côté de Richard Leacock et D.A. Pennebaker.
La filmographie de Claude Fournier est vaste et très inégale. Peut-être à cause de sa bougeotte, c’est dans les petites entreprises qu’il excellait : On sait où entrer Tony, mais c’est les notes (1966), Sebring, la cinquième heure (1966) et les portraits très réussis de la série Vingt ans express qu’il produisit et réalisa pour Radio-Canada, sont de vraies réussites. Si l’année 1970, avec le succès phénoménal de Deux femmes en or signe la naissance de Claude Fournier cinéaste populaire, ce n’est pas qu’une bonne nouvelle : les films grand public qui suivront sont pour la plupart oubliables. Étonnamment, en 1973, il se permet un détour plutôt heureux par le western avec Alien Thunder (1973) dont il assure la direction photo et que produit sa compagne Marie-José Raymond.
Plus récemment, le nom de Claude Fournier et de sa femme furent associés à Éléphant : mémoire du cinéma québécois, un projet de numérisation des films québécois qu’ils dirigèrent de 2008 à 2018.
Claude savait très bien que je n’étais pas un grand fan de ses longs métrages de fiction ; il ne m’avait pas moins accueilli très amicalement dans sa belle maison de Saint-Paul d’Abotsford, à la fin des années 1990, pour discuter des problèmes de la Cinémathèque et s’était fait notre défenseur auprès du Premier ministre québécois de l’époque. En octobre dernier, Il fut de nouveau un participant très actif de l’assemblée générale de la Cinémathèque qui lui avait consacré une rétrospective dès le milieu des années 1960. Son livre de mémoires, À force de vivre (2009) est, paraît-il, le livre de chevet de Denys Arcand.
20 mars 2023