Confiserie et cinéma
par Marco de Blois
J’aimerais d’abord remercier mes collègues de 24 images d’avoir eu l’idée de doter le nouveau site d’un blogue sur le cinéma d’animation et de m’en confier l’inauguration. 24 images a toujours su accorder une place significative à l’animation, aussi bien dans sa version papier que sur le Web, et c’est l’une des raisons pour laquelle je me sens bien dans cette équipe. J’invite d’ailleurs mes collègues à ne pas hésiter à contribuer à ce blogue.
Quelques mots de présentation en ce qui me concerne : je collabore à la revue 24 images depuis 1989 (eh oui, déjà !). J’occupe également le poste de programmateur et conservateur du cinéma d’animation à la Cinémathèque québécoise depuis 1999, où je signe aussi la programmation des Sommets du cinéma d’animation. J’ai eu deux charges de cours à l’Université Laval et deux autres à l’Université Concordia en histoire de l’animation. Je ne sais pas pourquoi j’aime autant l’animation au point d’en avoir fait une spécialité professionnelle. Je présume que ma formation en histoire de l’art, de même que mon affection pour le théâtre, la danse et les autres arts du mouvement, ont contribué à forger cette prédisposition.
Ce blogue survient alors que le milieu de l’animation au Québec traverse une sorte de petit âge d’or. Je rêve peut-être, mais je constate ici et là comme une effervescence. Il y a d’abord, bien entendu, l’ONF, qui maintient le cap en ce qui concerne la production de films d’auteur et s’impose comme une référence cinéphilique à l’échelle mondiale. Je sens aussi qu’une institution subventionnaire comme la SODEC manifeste un début de curiosité à l’égard de cette discipline. J’en avais eu la démonstration l’année dernière lors de la tenue du concours Cours écrire ton court – spécial animation, une initiative de la SODEC, dans le cadre des Sommets. De plus, il faut compter sur la poignée d’ultra-indépendants qui arrivent à faire des films sans le soutien financier d’une institution publique. Non seulement y a-t-il effervescence, mais aussi, me semble-t-il, une pluralité des voix et des voies.
Pourtant, l’animation reste un art encore mal connu ou sous-estimé. Par exemple, la façon assez systématique dont sont occultés, chaque année, dans les principaux médias, les finalistes pour le prix Jutra du court métrage d’animation en est le signe. Aussi modeste soit-il, ce blogue aura comme objectif de tenter de mettre en évidence l’animation à travers son actualité et son histoire.
Au fond, l’animation est peut-être née d’un malentendu. Si on estime que Fantasmagorie d’Émile Cohl est le premier véritable film d’animation de l’histoire du cinéma, le titre de cette œuvre majeure résonne encore aujourd’hui comme une sorte de mantra dont l’animation n’a pas réellement besoin… D’après Antidote, « fantasmagorie » signifie : « spectacle qui relève du surnaturel, enchanteur ». Si bien qu’on confond souvent l’animation avec le surnaturel et l’enchantement, comme si l’animation ne pouvait être qu’intrinsèquement et éternellement surnaturelle et enchanteresse, pour ne pas dire futile. Ce problème de perception peut expliquer la prolifération de formules ineptes comme « un joli petit film » ou « un petit bijou » pour décrire l’animation… et autres périphrases plus appropriées pour la confiserie que pour le cinéma.
Pire, quand on constate que le cinéma d’animation est en mesure de traiter de sujets graves, on s’affole de ne pas y retrouver le réconfort du surnaturel et de l’enchantement, on crie à l’obscénité et on censure les œuvres, comme l’avait révélé le journaliste Sébastien Dulude au sujet de la projection de Oh Willy… à Trois-Rivières.
Pour conclure ce premier billet, faisons-nous plaisir en revenant sur un événement extraordinaire ayant toutefois eu peu d’écho à l’extérieur des réseaux sociaux. Le festival d’animation Animator de Poznan, en Pologne, présentait en clôture de sa plus récente édition, le 19 juillet, un concert symphonique accompagnant les films de la Trilogie du XXe siècle du Montréalais Theodore Ushev. L’ampleur de l’événement, la majesté de la présentation, la rigueur de l’exécution en ont laissé plusieurs pantois. Le spectacle n’a pas été capté de façon officielle, mais le cinéaste a mis sur sa page Vimeo une courte vidéo pirate d’une durée de 49 secondes. Le film dont apparait ici un extrait est Gloria Victoria, encore inédit chez nous. La musique est tirée de la symphonie Leningrad de Chostakovitch. En voyant ces images, qui sont apparues sur le Web quelques heures seulement après la tenue du concert, il était difficile de ne pas ressentir une émotion vive, car l’animation recevait ici tout ce qu’elle mérite : être prise au sérieux.
gloria poznan from Theodore Ushev on Vimeo.
21 août 2013