Déserteur sans cause
par Robert Lévesque
Il y a des premiers films coup de poing, coup de cur ou coup de génie, il y a parfois des coups d’audace et des coups d’épée dans l’eau (tout le monde ne peut pas du premier coup faire Les 400 coups), et souvent ces premiers films imposent une signature qui deviendra incontournable (Ozu, Groulx, Straub, Godard, Eustache, Cassavetes, Perrault, Fellini, Dumont, Carax, Panahi, l’Argentin qui a fait Les Acacias, Denis Côté, quelques autres). Le premier film de Simon Lavoie (qu’on surveille depuis Laurentie qu’il a cosigné avec Mathieu Denis) n’est rien. Il n’a pas de dignité, ni une marque ni sa marque. Il n’innove en rien et ne casse rien. Il passe et on peut l’oublier ; on dirait un film de Clément Perron du temps de l’ONF des années passées, un Taureau écorné, parfaitement inintéressant. Beau. Belles bourrasques. Belle télé. Belle histoire des pays d’en haut Il n’y manque que l’adagio de Glazounov
Fallait-il qu’un jeune Québécois qui suçait son pouce le soir du second référendum commence, démarre ou débute ainsi une carrière de cinéaste en faisant du ski de fond dans les pistes battues de l’institution cinématographique québécoise de par chez nous ! Est-ce cela que ça donne que d’étudier en cinéma à l’UQAM ! Bouleau noir ! Oh, il est beau ce film, la direction photo de Michel La Veaux sera toujours une valeur sûre, nos hivers et nos étés y sont quasiment chantés, il n’y a aucun mauvais goût dans Le déserteur, aucun couac, on n’a pas eu peur de la lenteur et le dialogue est raréfié, bien nettoyé du typique, on a fait confiance au spectateur et le casting (la famille Proulx-Cloutier jouant la famille Guenette) est d’assez bon aloi, Raymond Cloutier étant la réincarnation de Pierre Larquey (sans la voix unique, inoubliable, de ce vieil acteur du cinéma de papa).
Alors il déserte de quoi, le beau protagoniste ? Nous sommes en 1944 à Lévis. Dans le creux de l’histoire des Canadiens-français. Il déserte donc de l’armée fédérale pour ne pas aller se battre de l’autre bord avec les Anglais. La défense de la liberté démocratique ? Il n’y pense même pas Un film sur le sujet (la bêtise d’un peuple) aurait demandé un grand travail d’approche socio-politique. Un approfondissement. Une franchise. Du nerf. Dans la menée exclusivement esthétique de Lavoie, même si l’on sent très bien que ce film n’est pas grossièrement nationaliste, la subtilité par trop simplificatrice de l’écriture du scénario ne suffit hélas pas à donner au film l’étoffe de sens qu’il devrait porter sur ses épaules, le regard qu’il devrait avoir sur cette guerre qu’ils ne voulaient pas faire (comme le regard de Tavernier, par exemple, sur la guerre de 14 dans La vie et rien d’autre). On se retrouve avec un déserteur dont le motif, sinon la cause, est si absente que l’ensemble, sans proposition, n’a aucune signification.
Celui qui allait pourtant frapper si fort en signant Laurentie avec son associé Mathieu Denis (qui est dans Le déserteur monteur d’images), ce film coup de poing et coup d’audace si radical et difficile à digérer, ce constat qui donne, et de loin, le film d’ici le plus cinglant depuis ceux de Gilles Groulx, débutait bien timidement avec ce portrait de déserteur canadien-français bucolo-somnambulique, sans étude de caractère ni analyse de comportement et force de frappe.
Simon Lavoie (si l’on excepte la cabalistique de Laurentie réglée à quatre mains) sera-t-il un cinéaste du terroir nettoyé de ses terreurs, revu et apaisé ? Car force est de reconnaître que son troisième film, Le Torrent (son second film en seul signataire), n’a pas su traduire la violence inhérente au dur récit d’Anne Hébert. Sa seule qualité qui le sauve de l’ennui total est de ne pas avoir cherché une fidélité à l’uvre, mais d’avoir tenté de trouver sa propre inspiration, même si ce choix l’a mené à rater le rendez-vous avec ce brûlot des années quarante refusé partout et publié à compte d’auteur en 1950.
On peut voir Le déserteur à l’horaire de nuit de Radio-Canada le 17 février à 3 heures 10.
La bande-annonce du Déserteur
14 février 2013