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Chroniques

Éloge d’un artisan

par Robert Daudelin

Chez Cheap Thrills ou à l’Échange, au Bazar du cinéma ou à la vente de trottoir de l’avenue Mont-Royal, je n’hésite jamais, si je trouve un dvd d’un film de Henry Hathaway, j’achète : c’est une valeur sûre !

Il n’a jamais eu droit au titre d’auteur, pas plus qu’à beaucoup d’éloges dans les revues sérieuses. Pourtant, entre 1932 et 1974, Henry Hathaway a réalisé 65 films, dirigé les plus grandes vedettes (John Wayne, Gary Cooper, Susan Hayward, Tyrone Power, James Stewart Marilyn Monroe, James Cagney, Joseph Cotten, Robert Mitchum), gagné la confiance des grands studios (Paramount et 20th Century Fox, notamment) et raconté ses histoires à des millions de spectateurs à travers le monde. L’un des plus fidèles d’entre eux est Bertrand Tavernier qui a toujours célébré le travail du cinéaste; c’est d’ailleurs à sa suggestion que le New York Film Festival a rendu un hommage (un peu tardif) à Hathaway, en 2016.

D’un métier appris sur le tas, Henry Hathaway a fait une sorte d’art mineur : ce qu’on appelle familièrement « de la belle ouvrage ». Inutile de chercher un « style Hathaway » : ce n’est pas là que les qualités de cet artisan se manifestent. Pour comprendre un peu mieux, arrêtons-nous sur Rawhide, un western de 1951. Unité de lieu, un relais sur la route de la diligence San Francisco-Saint Louis ; unité de temps, l’horaire quotidien de la malle-poste ; unité d’action, récupérer le pécule que transporte le véhicule. Sur ce canevas on ne peut plus classique, Hathaway, bien épaulé par son scénariste, le très fordien Dudley Nichols, multiplie les écarts : une femme forte, un bébé qui piège l’action, un bandit qui a de l’éducation et un autre qui cache mal ses sentiments familiaux. Étonnant autant que classique, bien servi par une magnifique photo noir et blanc de Milton Krasner, admirable dans sa sobriété, Rawhide est une totale réussite ; il y en aura plusieurs autres, notamment dans le western : le très curieux Garden of Evil (1954), jusqu’au savoureux True Grit de 1969, dont le remake des frères Coen n’est qu’une bien pâle copie.

Le film noir est un autre terrain où Hathaway a bien servi le cinéma. Dès 1945, avec The House on 92nd Street, il s’inscrit dans le courant vériste qui sera par la suite associé au nom de Jules Dassin (The Naked City, 1948, Night and the City, 1950). Si House… a pris un coup de vieux, c’est sans doute son portrait un peu trop flatteur du FBI qui en est responsable; les films suivants – il y en a eu 4, entre 1946 et 1951 – sont tous exceptionnels et désormais considérés comme des classiques du film noir. C’est tout spécialement le cas de Kiss of Death (1947), sur un scénario de Ben Hecht, entièrement tourné en décors naturels, dans les environs de New York. C’est un film d’un pessimisme assumé qui, au-delà de son intrigue convenue (la réhabilitation impossible d’un ex-bagnard) est un portrait inquiétant de la justice américaine et de son fonctionnement. Dans la même veine, et tout aussi fort, The Dark Corner (1946), par ses thèmes aussi bien que par son traitement, annonçait déjà Kiss of Death et, si on le veut bien, Asphalt Jungle (1950) de John Huston. Dans un tout autre registre, mais également étonnant par son parti pris documentaire, est Call Northside 777 (1948). Un peu abusivement classé « film noir », cette histoire d’enquête journalistique, entièrement tournée dans les rues de Chicago, est un suspense très réussi ; c’est à nouveau une réflexion sur la justice et son fonctionnement.

Bien d’autres films de Henry Hathaway méritent le détour et il ne faut jamais hésiter à y aller voir. Ainsi en est-il de ce curieux 13 rue Madeleine (1947), une histoire d’espionnage dans laquelle agents américains et militants de la Résistance unissent leur forces pour lutter contre l’Allemagne nazie. L’action se passe dans la ville normande du Havre dont Hathaway a trouvé l’équivalent dans les rues de Québec où la dernière partie du film a été tournée.


1 juin 2020