Chroniques

Gégé le gros

par Robert Lévesque

En fuite ou en exil, beurré ou repu, il est un roi tout de même, le Depardieu; maudit, boiteux, Pétaud, Dagobert ou Bérenger, il ne se meurt pas, il trône ; aujourd’hui s’il y a une tête qui dépasse dans la galerie des crevards d’écran, c’est bien sa gueule, sa tronche de marlou émotif; c’est Gégé le Gros dont la carcasse, dépecée pour le commerce, donne au gré des équarrissages de la bidoche pour tous : andouillettes, boudins, cuissots, amourettes, tripes et filets, joues et fesses, pieds paquets et os à moelle; il y en a pour tout le monde, gloutons et fines bouches, du rata en masse et du petit salé, de la barbaque en tablée et du pialat à l’arrabiata, et allez donc, entrées, plats, trous, poires et crottins, appenzell et saint-marcellin, les fermentés à pâtes molles. Le souverain cabot, voyez sa palette, a joué Le camion et  RRRrrrr ! ! !..., Tartuffe et Balzac, il s’est farci Rodin, Vatel, Marin Marais, Bérurier, Obélix, n’en jetons plus, sa cour est pleine…

Quand on le mettra en terre (j’avais un voisin qui, à la sortie de Danton, le surnommait Deux par quatre), quand il y en aura pour aller cracher sur sa tombe et pour la fleurir de myosotis, quand les plumitifs auront servis les viandes froides en les réchauffant du dernier barouf (t’as vu, il a roulé une pelle à la Bettencourt dans son cercueil), on pourra dire ite missa est, e finita la comedia, salut l’artiste, Adieu poulet, le roi est mort vive le roi car (enfin, hélas) le cabot battu de Mammuth ne jappera plus, la bête aura quitté la cène et l’on entendra, entremêlées, dithyrambes et philippiques, la symphonie sera pathétique ou fantastique, surtout pas pastorale, on sera tous émus, le monstre aura vécu, l’air empestera de fleurs et de senteurs, car en Bouquet final, le loubard de Châteauroux, « le pétaroux » , aura lâché sa dernière flatulence au nez et à la barbe des clients.

En attendant ces funérailles à la Hugo du populo, m’est avis que Gégé le Gros va encore en remettre. Parbleu, tant que le corps et les organes tiennent, pour peu que le coeur ne lui fende et que sa quille n’éclate, il lui faudra entretenir le magasin et divertir la cour, être au four et au moulin, passer du coq à l’âne et renverser la vapeur, faire d’une pierre deux coups et discuter le bout de gras, battre le fer et courir le cachet, effeuiller la marguerite et faire pleurer Margot, être aux fourneaux et cracher dans la soupe, faire son chemin et tirer la chevillette, moudre un air et ne pas se moucher du coude, tenir sa chandelle droite et faire tomber les filles, tenter le sort et lâcher le morceau, parier sa chemise et se tailler une escalope, ne pas désespérer Billancourt et partir au front, prendre l’oseille et se tirer d’embarras, se tailler une bavette et couper la poire en deux, en avoir plein les bras et s’échapper du peloton, filer à l’anglaise et jurer de rien, dormir d’un oeil et réveiller les morts, arriver à pic et repartir comme en quatorze, tirer des plans sur la comète et casser la baraque, y aller mou et bomber le torse, jouer à la roulette et mettre sa tête sur le billot, bref… faire tout et son contraire, porter beau et s’habiller d’un rien, faire la bise et couper le souffle, et puis ce sera  Merci la vie

Autrement dit vaste programme encore : faire toujours un Depardieu de soi. Mais est-ce possible ? Grimper à la roche de Solutré avec Tonton Mitterrand, participer au meeting de Villepinte avec Sarko, souffler des chandelles à Chirac, vider la bouteille avec Poutine, chanter avec la fille du dictateur de l’Ouzbékistan, pisser sur la moquette d’un avion, ronfler à l’opéra, se gratter les couilles à l’ambassade, goûter de la fine en slip, vendre du poisson, tenir table ouverte, conduire en état d’ébriété, lire Saint-Augustin au lutrin, faire faux bond au tribunal, voler le spectacle, se masturber un bon coup sur le plateau, voir (comme un ver dans la tequila) de la démocratie dans le fond de sa vodka, pleurer Jean Carmet, souffrir d’un fils, jouer dans des merdes à l’oeil, se faire chier, emmerder la république, écrire à un premier ministre pour lui demander qui il est pour…, filer à Rome en chaise roulante, perdre le fil des événements, passer pour mort un quart d’ heure sur Twitter, aller au pieu un peu fatigué tout de même, un peu beaucoup allô maman bobo, mais ce type a du bol à revendre et ne manque pas de mamans de remplacement depuis la mort de sa « Lilette »…

Vous le verrez en Raspoutine à TV5 le 18 janvier à 23 heures 35. Le personnage (illettré, illuminé, débauché) l’attendait. Signé Josée Dayan, le téléfilm serait une merde sans lui et même avec lui… m’enfin, vous allez roupiller avant qu’on en vienne à  l’assassiner.

La bande-annonce télé de Raspoutine


17 janvier 2013