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Chroniques

La Femme

par Helen Faradji

Vivian: What will your first step be?
Philip Marlowe: The usual one.
Vivian: I didn’t know there was a usual one.
Philip Marlowe: Well sure there is, it comes complete with diagrams on page 47 of how to be a detective in 10 easy lessons correspondent school textbook and uh, your father offered me a drink.
Vivian: You must’ve read another one on how to be a comedian.

Elle s’est éteinte, à 89 ans, mardi alors que le monde avait encore du mal à encaisser l’annonce du décès de Robin Williams. Un mardi, Lauren Bacall s’en est allée laissant à jamais imprimée dans l’imaginaire de tous l’image même de ce qu’est une femme au cinéma.

Car oui, bien sûr, il y eut Lars Von Trier, sur la fin, qui l’entraîna du côté de Dogville et de Manderlay, Jonathan Glazer qui, la plaçant face à Nicole Kidman, en fit l’étincelle de Birth, Altman qui la fit déambuler dans son Prêt-à-porter ou sa voix, sa voix rauque et d’un sex-appeal fou, celle qu’Hawks lui fit adopter en 1945 pour trancher avec sa blondeur encore adolescente, et qui envahit l’univers pourtant bien enfantin de la version anglaise d’Ernest et Célestine.

Il y eut aussi l’Oscar d’honneur en 2009 pour saluer la carrière faite de ces pépites grâce auxquelles on peut encore parler d’un âge d’or d’Hollywood (Key Largo, How to marry a millionaire, l’indépassable To Have and Have Not – son tout premier, elle n’avait que 19 ans et se transformait en fantasme universel en apprenant à Bogart comment siffler -, le sublime et méconnu Dark Passage et sa caméra subjective prolongeant le regard de Bogart sur elle)…

Mais pour toujours, Lauren Bacall restera d’abord et avant tout Vivian Sternwood. La grande sœur, fille de général, sophistiquée et d’une élégance absolue, emberlificotée au milieu d’une intrigue labyrinthique (on raconte que même Hawks, inspiré réalisateur de la chose en 1946, était incapable d’en résumer le récit, tortueuse ballade en terre de chantage et de vengeance, adapté par Faulkner d’un roman de Chandler, rien que ça). La femme qui, exerçant les effets de son fameux regard par en bas, n’avait rien besoin de demander à Bogart pour qu’il allume sa cigarette et soit définitivement séduit. La créature pourtant filmée comme une femme de chair, de sang, et surtout d’esprit.

Car c’est aussi pour cette raison que Bacall restera pour toujours liée à The Big Sleep. Ses yeux de chat, oui, son allure altière, oui, ses mouvements souples et fluides animant son ravissant tailleur noir et blanc, béret crânement posé sur la tête, oui encore. Mais surtout son attitude, son menton jamais baissé, sa personnalité, ses mots acides, tranchants, déterminés, suaves, drôles, d’une intelligence et d’une sensualité à couper au couteau, bien plus érotiques que les jambes dénudées de Lana, les gants de Rita ou les épaules d’Ava. Ces répliques sans peur et sans reproche qui n’ont jamais sonné faux dans sa bouche.

Depuis sa mort, les médias ont beaucoup évoqué Bacall pour son union avec Bogart. Le couple mythique, glamour, celui des affiches et des cartes postales, celui qui fit vendre du rêve en l’incarnant plus que tout autre. Mais Bacall n’était pas qu’une moitié. Elle était pleine, entière. Elle était de ces femmes, de ces actrices qui, plus que des rôles, interprétaient surtout un type : un type de femme moderne, insolente, indépendante, sûre d’elle, courageuse, frontale, glaciale et bouillonnante d’un même regard, aussi pleine de sang-froid que de conviction, de force que de douceur. Un type de femme, les pieds sur terre et les répliques acérées, comme le cinéma ne nous en a pas montré depuis longtemps. Un type, un modèle même, de femme dont les réalisateurs nous ont, en réalité, fait voir bien plus que le corps ou le visage. L’âme. Ce qui faisait, forcément, d’elle la plus séduisante de toutes. Car comme le disait Hawks, son réalisateur, celui qui la comprit de a à z, celui qui la façonna autant qu’il l’accompagna, à son sujet : « c’est quand elle est insolente qu’elle devient désirable »

 

Un extrait de The Big Sleep


13 août 2014