Je m'abonne
Chroniques

La petite laideur

par Robert Lévesque

Me voila bien embêté. Je n’aurais pas dû aller voir ce film, me disais-je en sortant du Beaubien l’autre samedi soir. Au lieu d’aller prendre ma place pour la séance de 18h10, j’aurais dû continuer de farfouiller d’un rayonnage à l’autre dans la petite librairie de livres d’occasions qui est juste à côté de ce cinéma et qui est d’ailleurs l’une des plus riches et des mieux tenues de Montréal, à l’enseigne Chez Lireloue, le « e » muet final signifiant qu’on y loue des livres, et c’est assez rare, je crois, mais la location ne concerne que les polars ; j’aurais voulu y louer Tanizaki dans la collection Quarto de Gallimard qu’on me l’aurait refusé…

Bref, quittant l’antre de bouquins usagés alors que l’employée m’invitait à continuer mon exploration (je me sentais comme Bogart dans The Big Sleep lorsqu’une jolie libraire – Dorothy Malone – l’incite à prendre son temps et qu’elle descend le rideau dans la porte du magasin…), je m’en allai donc au Beaubien voir ce film célébré que je n’aurais pas dû aller voir. Car c’est une longue merde sans nom qui m’a profondément ennuyé.

Me voilà bien embêté car, si je paraphrase De Gaulle en 1967, tout ce qui grouille, grenouille et scribouille avait éperdument aimé ce film, les uns et les autres collègues sortant les superlatifs, c’était là un chant d’amour, là un ensorcellement, là un festival délirant, là du génial, là du sublime, là du monumental, là du magique et là du truffé de fulgurances ! Partout c’était une élégance, des répliques déjà cultes (sic), une singularité époustouflante, et parmi ces laudateurs enthousiasmés, madre de dios, se trouvaient ma rédac’chef que j’aime vraiment bien et le patron du magazine qui me signe deux fois l’an un petit chèque, une aumône pour ainsi dire… Alors tout ça faisait un joli désagrément dans ma tête quand je rentrai seul chez moi pour aller boire une ou deux hollandaises et quelques verres de Vivolo bien frais…

Comme on peut se sentir seul, parfois. Encore un peu, avec de pareils coups, on en viendrait presque à douter de soi. Comment n’avais-je pu sentir, comme Manohla Dargis du NYT, que ce film était dédié à la gloire de Rome, à la douceur de vivre, quand moi je n’y avais vu que du bricolage post-publicitaire et du touristico-artificiel, de la fausse grandiloquence à la con ; comment n’avais-je pas trouvé, comme Marc Cassivi, que Toni Servillo est formidable!, quand cette face d’anchois desséché me tombait sur les nerfs ; bref comment ai-je pu être si insensible à ce film estampillé ensorcelant par toute la profession ?

Eh bien, je vais vous le dire. Le métier va mal. S’agissant de cette merde titrée La Grande Bellezza, on vous a mal conseillé sur la marchandise. Et quand j’écris que c’est une merde, je sais exactement ce que ça veut dire : ce film sent mauvais. Il empeste l’opportunité, le truc, le sentencieux, le factice, la prétention, la fausseté, et quand on vous dit que c’est du Fellini revisité ou relayé ou salué, on vous dit une belle grosse connerie. Car ce film c’est de l’anti-Fellini joué par un antipathique anti-Mastroianni. La touche de ce réalisateur est lourde comme une enclume. Cette décadence actuelle qu’il prétend démontrer c’est du chiqué, du sinistre, du laid, c’est minablement verbeux, décérébré, creux, insignifiant, plaqué, simpliste, ça manque de l’essentiel, la finesse, la délicatesse, la subtilité, la justesse, le style, le regard, c’est un film mal conçu et mal dirigé par quelqu’un qui a déjà démontré un certain talent dans le polar politique (Il Divo) mais qui s’est lamentablement égaré et planté dans une ambitieuse aventure d’ordre esthétique et soi-disant lyrique, une affaire où l’inspiration ne fut pas au rendez-vous. Paolo Sorrentino signe là une Dolce Vita de faussaire, un film insipide et sans saveur, entièrement raté. Du pipi de chat, du Xavier Dolan, tiens…

En tout cas, en tout état de cause, voilà une offense à la mémoire du maître de Roma. On ne refait pas Fellini en 2013. On aura compris que j’ai rarement vu un film aussi détestable. Un produit lamentable, répugnant. Et pour tout dire : berlusconien.


30 janvier 2014