Le Cherokee sicilien
par Robert Lévesque
Plus encore que celle d’Alias Will James dont Jacques Godbout fit un film en 1988, l’histoire d’Iron Eyes Cody est absolument fabuleuse. Je la découvre, cette incroyable anecdote, cette immense duperie, dans un documentaire, Hollywood et les Indiens, que l’on attrapera ce dimanche 14 avril sur ARTV à une heure comparable à celle d’un train européen : 15h53. Achetez le ticket, montez à bord ; ce n’est pas que ce docu CBC-ONF du cinéaste cri Neil Diamond soit magistral, loin de là, il file vite, saute des étapes, gomme des nuances, sans doute parce qu’on l’a charcuté pour obéir aux diktats du formatage télé ; de plus le doublage à trois voix est bâclé, mais le temps de quelques trois ou quatre minutes (sur 52) on s’y attarde sur le cas d’Iron Eyes Cody, et le sujet, mirobolant, aurait mérité à lui seul un long-métrage. L’affaire m’a scié.
Alias Will James racontait l’histoire d’un Canadien français pure laine, Ernest Dufault, qui durant une trentaine d’années, exilé aux États-Unis, avait réussi à se faire passer pour un romancier américain et un authentique cow-boy au service de l’usine cinématographique hollywoodienne. Fort bien. Mais ce coup de frime n’était rien en regard de ce que l’on peut apprendre (le saviez-vous, chers lecteurs perspicaces ?) sur cet Iron Eyes Cody qui, lui, sa vie durant, incarna le plus Indien des Indiens à l’écran, et dans la vie, sa vie, ne devenant jamais célèbre (comme Chief Dan George dans Little Big Man d’Arthur Penn, Will Sampson dans One Flew Over the Cuckoo’s Nest de Milos Forman ou Graham Greene dans Dances with Wolves de Kevin Costner), mais représentant l’icône de l’Indien moyen, le prototype du figurant peau-rouge, le sauvage de service et plus encore, l’Indien accepté, assumé, assimilé, au point de se mettre à se croire lui-même un Indien et se disant de la race des Cherokee mâtinée du sang des Cris.
Alors que cet Iron Eyes Cody s’appelait dans la réalité Espera Oscar de Corti, qu’il était le fils d’un couple d’épiciers siciliens émigré en Louisiane au début du vingtième siècle, passé au Texas et enfin arrivé en Californie où, à compter de ses 12 ans, dans les années dix puis vingt, au temps du muet, le gamin de Corti se faufila dans les studios d’Hollywood pour se ramasser dans les foules autochtones ou bibliques des films de Cecil B. de Mille. Sa gueule de Sicilien ayant quelque chose d’Indien aux yeux des directeurs de casting, voilà qu’en 1930 on l’engagea pour un rôle de Peau-Rouge, non crédité au générique, dans The Big Trail (La piste des géants) de Raoul Walsh où John Wayne tenait la vedette. Il prétendait alors, et on le crut, qu’il était de sang indien. Sa carrière de 200 films démarra dès lors sur les chapeaux de plumes On le verra à l’écran portant sur la tête, d’un western l’autre, toutes les variantes de la grande parure (je me souviens que l’un des Marx Brothers se demandait dans je ne sais plus quel de leurs films signés Sam Wood ou Archie Mayo : pourquoi ils ont un poulet sur la tête ?).
Le documentariste Neil Diamond, dans Hollywood et les Indiens, passe vite sur cette histoire, hélas. Il demeure que voilà un cas de travestissement racial sensationnel. De 1927, date de sa toute première incarnation d’un Indien, dans Back To God’s Country de Irwin Willat, un film muet tourné par la Universal Pictures et dont le titre français était Sur la piste blanche, le jeune Espera Oscar de Corti qui coupa et changea son nom pour celui plus approprié de Cody, Cody aux yeux de fer, aura durant sept décennies (né en 1904, il est mort en 1999) vécu la vie d’un Indien de cinéma et de surcroît la vie privée d’un Cherokee, réussissant à faire croire à tous qu’il était de la grande famille iroquoienne, mariant une Indienne et adoptant deux enfants amérindiens afin que son sang sicilien se tarisse avec lui.
En 1996, trois ans avant de mourir, oublié, cet homme avait tenu à faire son coming out. Qui passa inaperçu. Voilà l’histoire d’Iron Eyes Cody, le Cherokee sicilien
La bande-annonce d’Hollywood et les Indiens
11 avril 2013