Le Clouzot Bardot
par Robert Lévesque
Ce film est grave, il est en noir et blanc, c’est l’un de ces films que j’adorais quasiment d’avance (à l’époque, années soixante, je m’imaginais détective) car il s’agissait d’un procès ; j’entrais au cinéma comme si j’allais à la cour m’asseoir dans le box des jurés ; il était triste ce film, car l’accusée, une meurtrière, coupable, allait, une fois jetée en prison, s’ouvrir les veines pour en avoir trop entendu sur son compte, et sur celui qu’elle avait tué, tant les avocats avaient du métier et de la prestance. Devant leur assurance, impossible de démêler les points de vue et les raisonnements, séparer la vérité de l’ivraie… La pauvre fille, qui s’appelait Dominique Marceau, n’arrivait pas à faire entendre la sienne de vérité ; d’ailleurs c’est ainsi, La Vérité, que s’appelait ce film de Clouzot.
Un an avant de le tourner, le cinéaste avait lui-même couvert un procès au criminel pour le magazine Jours de France, celui de Clotilde Seggiaro qui avait eu lieu en 1959 au Palais de justice de Draguignan. À la fin de son reportage, la chute était sentencieuse, si je puis dire… : « Décidément, les nuances s’accommodent mal de la lumière brutale des assises ». Le cinéaste du Corbeau allait noircir des centaines et des centaines de pages pour en arriver à un scénario (son premier s’agissant de mettre en scène un procès) où l’accusée (jouée par Brigitte Bardot !) allait justement être brisée par la brutalité des assises… Paul Meurisse jouait l’avocat général… Je ne sais pas pour vous mais, moi, avoir devant moi « le monocle » en toge, l’œil noir, j’aurais eu très mal au ventre…
Je me souviens que nous n’en avions que pour Bardot en sortant de ce film, La Vérité c’était le Clouzot de Bardot, film noir, et jamais la star française n’avait-elle été si vraie, jamais n’était-elle apparue dans un si bon film. C’était son premier rôle dramatique et on oubliait ses fesses créées par Dieu, elle était plus que très bien, Bardot, et adieu Vadim ! On était content pour elle car, à l’époque, on l’aimait bien, mes amis et moi, on vivait les années BB en se foutant de l’avenir, j’avais tous ses 33 tours et on guinchait sur Maria Ninguém, c’était un cas de phono descendu sur la plage la nuit, et là, soudain, c’était une actrice, une vraie, pas l’aguicheuse « vadimisée », ni une sacrée gamine (Michel Boisrond), ni une babette s’en va-t-en guerre, ni une pétroleuse (Christian-Jaque), ni une ravissante idiote (Molinaro). Elle pleurait juste, la criminelle, elle avait sa vérité qu’elle n’arrivait pas à faire entendre au juge ; et nous les jurés on la croyait, encore un peu et on l’innocentait…
Pour elle, c’était l’année 1960. Le 11 janvier, son fils Nicolas naît, le papa est Jacques Charrier rencontré sur Babette, Charrier qui avait remplacé Distel dans son lit. En mars, le producteur Raoul Lévy lui propose ce scénario de Clouzot. C’est étonnant. Elle accepte illico. Le tournage a lieu en août (Clouzot n’a pas inventé le tact, légendaire échange de gifles entre ces deux là). Sami Frey, qui joue l’amant et la victime, lui tombe dans l’œil après le premier Coupez ! Bardot vire donc Charrier. Et Charrier casse le nez de Frey un soir devant la Rhumerie. Fin septembre, BB rate une tentative de suicide. L’encre coule à flots. Le 2 novembre, La Vérité sort et fait plein d’entrées. Clouzot se relance et nique la Nouvelle Vague avec son Oscar du meilleur film étranger, et voilà la Bardot qui triomphe dans le genre sérieux.
Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne fera plus des merdes car, tout de suite après, le Vadim à l’affût lui met La bride sur le cou. Mais pour elle, il y aura bientôt Le Mépris, à nouveau ses fesses mais estampillées Nouvelle Vague… Dans une adaptation d’un roman de Moravia tournée par Godard sur la sublime terrasse de la maison de Malaparte à Capri… Dix ans après ce sommet (Aragon qui criait au génie), Bardot quitte l’écran pour devenir avec le temps, va, tout s’en va, une poufiasse apparentée à Le Pen père qui donnerait l’humanité (et son fils, ce qu’elle avait fait dès l’accouchement, c’était latent sa misanthropie vengeresse) pour sauver de la disparition tous les bébés requins aux ventres blancs, aux dents nacrées…, et nos phoques à nous.
Que Brigitte Bardot soit devenue une épave bouffie à la dérive ne devrait pas vous empêcher de regarder La Vérité, ce Clouzot Bardot où elle fut saisissante de sincérité, bref une actrice… À Ciné Pop le 26 novembre, 10 heures et 18 heures 45.
Un extrait de La vérité
21 novembre 2013