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Chroniques

Lech Kowalski – web et cinéma

par Patricia Bergeron

Liberté du sujet, liberté d’espace, liberté de temps. Tenir un blogue sur 24 images, c’est vraiment la liberté! Parlant de liberté et de sa défense, depuis plus d’un an, je suis sur Twitter le cinéaste Lech Kowalski et toute la bataille qu’il a menée et qu’il mène toujours, sa caméra et son arme « cinéma » en bandoulière,  avec des citoyens d’un village polonais, opposés au gaz de schiste jusqu’à faire trembler Chevron, géant américain de l’énergie.

Drill Baby DrillLa malédiction du gaz de schiste, espérons-le, sera à l’affiche à l’automne dans un festival près de chez nous. La bataille a presque été gagnée pour le village de Zurawlóv. Chevron a retiré son projet. Lech et les militants impliqués ont fait beaucoup de bruit autour de ce projet, via les médias sociaux (Twitter, Tumbler, Facebook, Instagram). La lutte locale s’est transformée en mouvement politique à l’échelle internationale avec #occupyChevron.

Kowalski est un marginal. Son œuvre aussi et ses relations avec les formats également. Ce documentariste n’est pas un étranger en terres « web ». Il a su très tôt intégrer le web à sa démarche et il cherche toujours à expérimenter à la fois la forme et le format. En 2008, son projet Camera War annonçait une vibrante immersion dans une hybridité entre production et distribution, entre formats courts et nouvelles formes de récit où le spectateur crée ses histoires, déambulant d’un clip à l’autre. Le projet pour Kowalski répondait à un besoin artistique et social, devant la complexité du monde.

« Pour rendre compte de cette complexité dans une oeuvre audiovisuelle, il est nécessaire d’organiser une nouvelle façon d’organiser le réel. La distribution en salle d’un tel projet serait impossible. Quant à la télévision, les entreprises complices de la crise en ont la main mise. »

Donc, pour lui et nous, faire main mise sur le web. Pendant plus de 52 semaines, des courts films, à la fois portraits, parcelles du quotidien, sur des moments, des gens, des situations, des observations, des prises de parole. L’expérience : la délinéarisation intuitive par la fragmentation et la navigation individuelle de l’internaute. Déjà, Kowalski intégrait le spectateur dans l’expérience. Le web n’est pas seulement un écran. Mais un espace de dialogue, un espace de participation, un espace à scénariser et à mettre en scène. Il poursuit cette approche avec le projet Besider, avec des étudiants en 2011. Onze propositions documentaires où professeur Kowalski propose certaines conditions ; diffusion sur le web, tournage avec téléphone cellulaire, questionner la forme sans cesse.

« Nous sommes en marche vers une nouvelle de cinéma, mais nous ne savons pas ce qu’elle sera mais il nous  faut aller vite car si nous continuons de la même manière, ça ne sera pas seulement la fin du cinéma… »

Son dernier projet web, CUTS, avec Arte Creative, intègre la performance. À l’occasion de l’ouverture du Palais de Tokyo en avril 2012, il tourne des cuts, des fragments de l’événement pendant plus de trente heures. Le cinéaste lorsqu’il passe au web conserve les mêmes préoccupations ; l’œuvre, et le rôle du spectateur ;  sa position à la fois politique et artistique face à l’oeuvre. Une déambulaiton labyrinthique dans ce lieu (tourous virtuel pour moi) où l’espace inoccupé devient espace de performance à occuper, derrière nos écrans. Points de départ, points de chute, points de fin. Tel un montage live.

Plus proche de nous, on retrouve dans le travail du collectif Épopée des questionnements similaires. Autonomie de distribution, récits courts, libérés du format prescrit par les institutions, regard renouvelé pour le spectateur, mise en espace d’écrans. Avec leur installation L’état des lieux, Épopée s’est libéré du réseau pour être dans le lieu physique, où l’œuvre se trouve un autre sens et une nouvelle réflexion chez le spectateur. D’autres cinéastes ont tenté le passage au web.  David Lynch de son côté a plutôt opté pour une zone de distribution… à son image. Aujourd’hui, il distribue aussi de la musique ! David Cronenberg collabore avec Lance Weiler pour le projet Body/Mind/Change, projet immersif lancé à la dernière édition du TIFF. Du côté de la France, Claire Simon se lance dans de nouvelles narrations avec Gare du Nord. Je reviendrai sur ces deux derniers projets.

J’ai l’impression de voir deux grandes tendances qui s’affrontent sans le savoir véritablement. Les empires télévisuels d’un côté, qui semblent tout vouloir du web et de manière bien maladroite : son écran, ses contenus, son débit, sa translocation, ses réseaux sociaux, ses jeunes, ses histoires.  Et de l’autre côté, des expérimentations web qui puisent beaucoup plus des univers du cinéma, de la scénographie, de la performance, de l’univers muséal. Pour donner naissance à une expérience entre un être humain et une histoire. Comme quoi, web et cinéma ont beaucoup plus en commun qu’on pourrait croire… Et c’est tant mieux.

En attendant de voir le film, la bande-annonce.

Drill Baby Drill Trailer 1 by Lech Kowalski from revolt cinema on Vimeo.

P.S. CUTS sera présenté au FNC LAB.


23 septembre 2013