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Chroniques

Les contraires s’attirent

par Helen Faradji

« La fin du film, elle est…

Oui, elle est…

Hmpffff, oui, c’est ça… »

Entendu dans une salle. Ou quand l’éloquence vient aux critiques de cinéma

Si, pour le moment, la compétition officielle du Festival International du Film Francophone de Namur peine à afficher sa cohérence (du film de genre qui saigne, à la Alleluia de Farbrice du Welz à Géronimo de Tony Gatlif, de Timbuktu de Sissako au documentaire Examen d’État de Dieudo Hamadi, les lignes de partage sont vagues), ne révélant ni thèmes, ni figures, ni mêmes gestes de cinéma commun, Le beau monde de Julie Lopez Curval (caméra d’or 2002 avec Bord de Mer) n’aidera pas à préciser le flou ou à se sortir la tête des vagues. Car c’est en son coeur même que cette imprécision frappe, en plein centre de cette historiette d’amour pseudo-romantique, réellement gnangnan entre une jeune apprentie brodeuse venant de milieux populaires (Ana Girardot, raide comme un piquet) et un jeune bourgeois tanné, tanné, tanné de son existence-cage dorée mais bien loin de vouloir réellement s’en échapper (Bastien Bouillon, qui minaude). La gentille prolo et le méchant aristo? Oui, comme dans un mauvais conte de fées, étiquette à laquelle Le beau monde n’échappera pas, remplissant ses propres trous de discours sur l’art où l’on jacasse plus que l’on dit et en prenant des poses molles, à coups d’ellipses incompréhensibles ou de dialogues téléphonés. La pauvre et le riche ne se rencontreront pas…

Deux mondes irréconciliables, comme ceux, a priori, de la fiction et du documentaire que pourtant Virgil Vernier présentant ici son premier long, Mercuriales, après l’incroyable moyen-métrage Orléans, parvient à équilibrer avec une spontanéité étonnante, débordant de chaque plan pourtant ultra-maîtrisé. Deux tours, les fameuses Mercuriales, dans une banlieue parisienne, et un monde gravitant autour et dedans, en particulier deux filles et un garçon, chacun aidant le film à développer une dimension quasi-mythologique (comment survivre en temps de crise?, les vestiges d’une puissance passée nuisent-elles aux désirs d’avenir?) ne contre-carrant pourtant jamais une sensibilité quasi-documentaire ni un contexte post-industriel presque apocalyptique (Mercuriales est notamment tourné en 16mm, rendant l’image presque impossible à dater). Étrange, étonnant, fascinant, malgré ses longueurs et ses errements, ses décrochages et ses imprécisions, Mercuriales, également présenté à l’ACID à Cannes cette année, aurait pu faire partie de ces gestes de cinéma forts espérés dans toute compétition qui se respecte. Il est ici dans celle des 1eres oeuvres de fiction où par sa capacité assez unique et enthousiasmante à réconcilier l’irréconciliable, il s’est assurément fait remarquer. Comme le soleil qui a daigné percer l’épaisse couche brumeuse de Namur, il aura été l’éclaircie bienvenue de cette journée.

Toujours le même sentiment d’une tentative de marier les contraires dans Bouboule, de Bruno Deville, premier long belge très attendu ici (la projection la plus pleine à laquelle nous avons pu assister) qui narre les déboires d’un jeune garçon obèse, luttant contre sa propre différence au sein d’une famille exclusivement féminine et dans un monde qui le rejette sans cesse. Sa rencontre avec un maître chien, caricature de virilité guerrière, l’aidera à trouver sa place. Si sur le fond, la perplexité reste de mise devant la tentative d’arraisonner la marginalité par une vision du monde extrêmement genrée, et si les coutures de cette fable reste souvent apparente (lumière scintillante évoquant le conte, fantaisie soulignée plutôt qu’intégrée comme elle pouvait l’être dans le très touchant Ma vie en rose d’Alain Berliner, musique pimpante et énergique signée M), c’est l’humour, souvent noir, souvent acide, souvent juste, décalant sans cesse le contexte enfantin de Bouboule, qui finit par sauver un peu la mise, assurant dors et déjà à ce film une jolie carrière populaire. Une comédie au paradis des festivals? On aura tout vu…

 

La bande annonce du Beau Monde

Un extrait des Mercuriales

La bande-annonce de Bouboule


8 octobre 2014